Colette KLEIN : Derrière la lumière (« À vous de l’autre rivE » / Alain L. Benoit)

Colette Klein a confié à l’éditeur Alain Lucien Benoit la réalisation de cet ouvrage de luxe dédié au regretté Pierre Esperbé, décédé il y a peu. C’est dire que le livre, bellement illustré par l’auteur, est sans doute un hommage sensible, mais également le cri désespéré d’une femme qui pleure un amour disparu à jamais.

« Je me cogne à la lumière derrière laquelle tu cesses d’exister ».

Avec la pudeur qui la caractérise, mais avec aussi le désespoir omniprésent qui accompagne chaque geste, Colette Klein dénonce l’injustice de cette séparation qui la prive d’une essentielle raison de vivre.

Éperdue, elle demande avec une ingénuité peu commune :

« Crois-tu que je puisse encore te ramener jusqu’au rivage ? »

Personne ne répond à sa question et elle sait bien qu’elle devra assumer sa solitude. Déjà, elle constate combien cette solitude envahit l’espace avec, cependant, l’espoir d’un vague Paradis, ici, là-bas, n’importe où.

« Je suis l’ombre que tu attends ».

L’amour n’oppose aucun tabou et la passion s’alimente au lyrisme d’une poésie dont le désespoir est le fer de lance de toutes survies.

« Je dors près de toi dans un lit de feuilles mortes ».

©Jean Chatard

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 34, 2nd semestre 2012.

Jack KÜPFER : Dans l’écorchure des nuits, Éditions Bruno Doucey, 2011.

Étrange livre, en vérité, tout en calicots de l’extrême, en graffiti de colère et en proliférations dérivées de l’inconscient, d’un baroque têtu dont l’imaginaire est le calice d’un surréalisme halluciné qui porte plainte contre toutes les circonstances de la société libérale. Cet engagement dopé au romantisme révolutionnaire fait aussi pulluler les gueules des grotesques et « les gargouilles au poing de fumée ». Les humiliés, les Incas, certaines figures mythologiques sont appelés à la rescousse pour débarrasser le monde des exploiteurs, dans une atmosphère de fin du monde. Le titre dit assez peu l’ambition du projet – une constellation. Le lecteur n’a d’autre ressource que de s’accrocher aux bastingages d’une nef en furie, cousine du Vaisseau fantôme, d’où Jack Küpfer fait couler l’archet d’une musique des grands fonds qu’on déshabille entre examen de conscience et « ultime champ de bataille de l’amour », ou bien d’allumer le feu de ses sources intérieures dans un boucan stellaire. Une préciosité truculente fait bouillir des cantates, remuer les gemmes d’un monde à l’agonie, flamber les alcools les moins tranquilles. Ici, état de liesse noire permanent. Et ça jubile sec sur les décombres de la civilisation, à l’image de ces témoins muets dont la présence est récurrente : les grotesques !

©Alain Breton

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 33, 1er semestre 2012.

Jacques KOBER : L’inusable des lèvres (2007, Maeght Editeur – 42, rue du Bac – 75007 Paris)

Il n’est pas innocent de voir accoler les noms de Maeght et de Kober, comme le poète s’en explique dans sa postface, se remémorant sa rencontre avec Aimé, à Cannes, en 1944. De cette rencontre allait naître la revue Pierre à feu, avec Léon-Marie Brest, Jean Cassarini et Jacques Gardies, soit une revue qui se donnait pour but de privilégier parmi les quatre éléments du monde, la terre et le feu d’une relance depuis sa ruine, et depuis ses ruines, à la condition humaine. Pierre à feu marquera le début de l’une des grandes aventures de l’art moderne. La maison Maeght, soixante-trois ans plus tard, n’a pas oublié Kober et c’est heureux de la voir éditer cet inusable des lèvres, un recueil au titre éminemment koberien : Île barrant la lagune à l’horizontale – avec l’inusable des lèvres. Paul Sanda, qui signe la préface, écrit avec justesse que, chez Kober, la poésie est de tous les instants, relevant que l’univers est souvent plus minéral et plus végétal qu’animal, donc plus enraciné que mobile, ce qui est étonnant pour un « nomade », car on ne cesse de voyager avec Kober, dans L’inusable des lèvres, comme dans ses recueils précédents : Tout homme et tout amour est un Jonas de cette grève – qui se roule sur d’éternels soubresauts d’hiver ; on voyage physiquement, géographiquement et oniriquement : la mer est une épine dans le gris mouillé de pluie des galets. Il est tout aussi juste d’affirmer que chez lui, c’est un précipité d’émotion qui provoque l’action : Ô comme cette houle est prosaïque qui destine l’amour sans pouvoir prononcer le cri ! Toujours initié par une émotion, le poème de Kober, comme la mer, monte et déroule les vagues de ses images pour se figer en croquis inusable. Le poème part souvent de petits riens, de moments anodins, que le poète intègre dans son univers intérieur, fusionne avec l’état de rêve, pour déboucher sur une surréalité qui lui est propre et qui culmine souvent vers le Merveilleux : L’après-midi rien ne vaut la peine… mais tout d’un coup il y a l’ouverture de la lagune.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jacques Kober : le créole des dieux, (dossier conçu par Jean-Michel Robert), « L’idée bleue » / Décharge n° 130.

Tiré à part de la revue de Jacques Morin Décharge, ce dossier Jacques Kober : le créole des dieux célèbre l’un des plus troublants poètes surréalistes d’aujourd’hui, trop injustement ignoré des critiques malgré une œuvre abondante et majeure où l’originalité de style le dispute à l’invention de la recherche formelle. Brillants, brûlants, les poèmes de Jacques Kober, dans leur déroulement, se chargent de force où n’interfère aucune approximation. La richesse de ces îlots de grâce, bellement inventoriés dans ses multiples publications, rejoignent quelque part l’originalité des peintres qu’il fréquenta et qui laissèrent sur son œuvre le sceau de la création, en même temps que l’empreinte d’un surréalisme toujours vivant que le poète maintient au plus haut de son haut ramage. Entretien, analyses, signés Christophe Dauphin, Jean-Paul Gavard-Perret, Antoine Colavolpe, Pierre Grouix, Daniel Leuwers, soulignent l’importance de cette œuvre giboyeuse, palpitante, qui apporte à notre petit monde poétique les belles senteurs d’un ailleurs sans cesse renouvelé.

Ce dossier se poursuit avec les témoignages chaleureux de Monique Rosenberg, André Miguel, Paul Sanda, Pierre Schroven et Rezvani. C’est dire l’importance de cette œuvre, louée par les plus grands et cautionnée par d’authentiques créateurs. L’ensemble est habilement mis en lumière par des pages de poèmes choisis, anciens et récents, et encadré par deux reproductions (couleurs) d’un peintre cher au cœur de Kober : Jean-Marie Fage. En ces pages denses où cohabitent informations et merveilles de l’insolite, la poésie de Jacques Kober se retrouve comme chez elle, ouverte et généreuse.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 354, novembre 2007

Jacques KOBER: Connemara Black (Éd. Rafael de Surtis, 2003)

En épousant une femme d’origine irlandaise, Kober a épousé davantage en cette « folle et indéracinable Irlande », qu’il a intégrée à sa propre mythologie intérieure, avec la Provence : « Civilisation rurale de jarres, de tians, de toupins, de faisselles, de tommettes et de cabanons que meuble la nuit le trapèze du hibou« , l’Inde : « Ce monde onirique, hors du temps », l’Italie : « Rugissant le matin des coulisses de la mer », et la Méditerranée : « La mer se bat à coups d’ossements sur les plages. » L’Irlande est présente dans l’œuvre de Kober, mais bien moins que ne le sont l’Italie ou l’Inde. Il manquait un grand recueil irlando-koberien. C’est chose faite, dans une belle édition bilingue anglais/français (traduction de Caroline Williams), avec un dessin inédit de John Huston (datant de l’époque où ce dernier tournait un film en Irlande), s’il vous plaît, et une préface de Daniel Leuwers : « … Jacques Kober nous fait pénétrer dans une sorte de surréalisme celte… nous convie, coude levé et verbe ajusté, à une inattendue ivresse d’au-delà. » Car il est vrai que le coude, on le lève, Guinness oblige: Une gorgée d’affût de canon dilué, – l’âme du pirate, fraîche autour du boulet – sans cesse rincée d’arraisonnement frais. L’image est le souffle de la création chez Kober. Elle bouleverse, transforme, sublime, métamorphose le réel, qu’elle fusionne avec l’univers onirique. Elle donne à voir dans le même laps de temps où elle réinvente le monde. Ici, il s’agit d’une Irlande : verte et inexpiable – à même la glaire des îles – et l’apostrophe des saints.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 17/18, deuxième semestre 2004)