Jacques TAURAND : Une voix plus lointaine, Préface de Jean Chatard, (2007, éditions des Silves, 27 ter, sente des Prés – 95160 Éragny-sur-Oise, 12 €)

Les éditions des Silves ont été créées en mars 2007, dans le Val-d’Oise. Aussi, tout naturellement, écrit Geneviève Silvestro : « Nous publions à la croisée des horizons, à l’image des membres de l’équipe créatrice et du public de la région. Fondée par des ingénieurs, des poètes, et des plasticiens, les thèmes de notre maison ne cessent de provoquer la rencontre entre sciences, arts et la littérature contemporaine. » Les éditions des Silves comptent deux collections de poésie. Celle des « Grandes Silves », accueille (en des recueils de qualité et vraiment soignés côté présentation) des poètes confirmés, tels que Jean-Philippe Aizier (qui publie Rivages, suivi de : Arrêts sur images) et Jacques Taurand, un ami disparu et très regretté par les HSE. Cette Voix plus lointaine, testamentaire, est donc émouvante à plus d’un titre. Les poèmes ont été écrits pour la majorité, à l’exception du premier, la longue et belle « Ode pour une jeunesse défunte », lors de moments difficiles entre L’Isle-Adam et l’Hôtel-Dieu, tout au long des « séjours » hospitaliers du poète, comme le note cet autre excellent poète et critique qu’est Jean Chatard, dans sa préface : « La maladie, la mort, y sont omniprésentes, en de pudiques accents, le poète privilégiant les heures chaudes des regrets, les amours folles d’une jeunesse offertes aux souvenirs, laissant à d’autres un lyrisme outrancier. » Il faut lire ces poèmes épurés et fluides, écrits du fond de cette prison de chair, ces bruits d’un jour où se perdent les pas ; il faut lire ces poèmes, car ils émanent d’un poète qui ne cache pas la vie, mais l’écrit avec la noire écriture du sang.

©Karel Hadek

( Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jacques TAURAND : Au pays de l’inconsolé, Lettres à Gérard de Nerval (2007, L’Harmattan – 5/7, rue de l’Ecole Polytechnique – 75005 Paris, 11 €)

Jacques Taurand a tôt reconnu l’auteur d’Aurélia, comme un maître, comme un frère, dès sa première lecture nervalienne, durant l’adolescence : « La rupture avec la réalité se produisit sur le champ et mon esprit s’envola, se mêlant à votre souffle pour se fondre avec cet autre réel dont les images imposaient la soudaine évidence ». Rappelons que J. Taurand a déjà évoqué l’inconsolé, au sein de sa nouvelle, Un été à l’Isle-Adam (rééditée aux éditions de Saint-Mont, en 2005). « Ne m’attends pas ce soir car la nuit sera noire et blanche. » Nerval laissa ce simple mot à sa tante le soir de son suicide, le 26 janvier 1855. Il avait quarante-six ans. Ce Nerval, Taurand l’aime infiniment et jusqu’au fin fond de ses déboires, de sa détresse, de ses voyages intérieurs, de sa mélancolie, de sa folie, de son génie : « Votre feu intérieur devenait ainsi votre enfer dont les flammes, en vous purifiant, vous détruisaient. » Taurand aurait pu s’attaquer à une biographie, à un essai. Il n’en est rien. Il a choisi une voie plus intime, davantage en adéquation avec la relation qu’il entretient, tant avec l’homme qu’avec l’œuvre, la forme épistolaire : « Séparons-nous à l’angle d’une rue de votre choix et disons-nous à plus tard pour un autre vagabondage dans vos chimères ». Si tout a peut-être été dit sur Nerval, personne, sauf J. Taurand, n’avait osé l’aborder sous cette forme, par ce biais, c’est-à-dire de poète à poète et de l’intérieur : « Non, ce travail est autre, il est celui qui s’opérait au plus obscur de votre être, dans le silence en fusion de votre conscience, dans ces zones où descendaient vos terminaisons les plus sensibles ». Taurand nous captive et parvient en effet tout au long de ce vagabondage poétique en seize lettres, à donner un éclairage neuf et inédit sur Gérard : le sien, emprunt de respect, certes, mais dénué de complaisance : « Cher inconsolé, pauvre et riche Orphée, soyez en paix dans la nuit de votre tombeau, l’humanité a gagné de votre lumière. »

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Lettres à Gérard de Nerval, Jacques Taurand, L’Harmattan.

Délaissant l’essai traditionnel, Jacques Taurand a choisi la compilation épistolaire pour célébrer celui qui, né en 1808, devait se donner la mort, rue de la Vieille Lanterne, le 26 janvier 1855, laissant à la postérité quelques chefs-d’œuvre dont Aurélia et Sylvie, ces Filles du feu, de feu et de lumière.

Gérard de Nerval, « le ténébreux, le veuf, l’inconsolé », prend de nouveau forme et corps grâce à ces lettres rédigées du 1er mars au 7 mai 2007 au rythme de deux ou trois par semaine.

Par le biais de cette correspondance à sens unique, Jacques Taurand évoque la vie et l’œuvre du poète avec cette simplicité amicale qui unit les hommes possédés par la même passion de l’écrit poétique.

Chaque lettre correspond à un fait précis, à une anecdote, à une publication marquante. Et la subtilité de la démarche consiste à fournir tous les éléments de l’essai sans recourir à la pesanteur narrative.

Taurand agit ici comme si son interlocuteur était réceptif aux arguments avancés. Interlocuteur qui y répond d’ailleurs par anticipation.

Les seize lettres traitent avec un égal bonheur de chapitres nervaliens : des Nuits d’octobre à Octavie, de La Pandora aux Filles du feu, d’El Desdichado aux Chimères. Et c’est un grand plaisir de partager ces pages à la fois intimistes et analytiques où l’on sent l’admiration sourdre derrière chaque phrase, derrière chaque mot.

Au détour d’un chapitre, on notera cette citation que beaucoup de poétereaux pourraient méditer avec profit : « — la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète : c’est à la critique de m’en guérir. »

Jacques Taurand, à qui l’on doit par ailleurs, outre des nouvelles et des poèmes de belle venue, un excellent essai Michel Manoll ou l’envol de la lumière (L’Harmattan, 1997), signe ici un livre original et de haute qualité.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 356, janvier 2008

Les Allées du temps, Jacques Taurand, postface de Christophe Dauphin, éd. de Saint Mont.

C’est dans un beau petit recueil dont la couverture est ornée d’une œuvre de Jean-Philippe Aizier que Jacques Taurand a choisi de nous offrir ses poèmes récents. Confié aux éditions de Saint Mont, cet ensemble réunit des textes d’une facture habituelle, chez le sensible JacquesTaurand, mais ici plus structurée, plus maîtrisée qu’à l’ordinaire, semble-t-il. En bref, du meilleur cru.

En ce pays de la poésie où « Le jour / chante sa lumière », les drames de l’existence, s’ils sont quelque peu occultés dans la démarche, n’en demeurent pas moins ce centre des préoccupations où l’homme d’aujourd’hui puise ses élans, aiguise ses reflets, distille ses poèmes. C’est ici que l’on murmure… « Les choses à voix basse / la page d’un ciel / que tourne l’habitude ».

Dans sa postface, Christophe Dauphin situe avec exactitude le poète parmi les siens. Et il est vrai que les dédicataires de ces textes où l’amitié prévaut ont noms : Jean Joubert, Serge Wellens, le regretté Jacques Simonomis, Ange de Saint Mont, Jean-Claude Albert Coiffard, Jehan Despert, Michel Héroult et quelques autres, tous artisans des mots, amoureux du langage et chaleureux compagnons.

Dans Les Allées du temps, Jacques Taurand, s’il musarde et contemple, sait aussi nous convier à des magies secrètes où l’homme s’imagine détenir un pouvoir sur les heures.

D’un pas tranquille, il aborde avec confiance les allées bleues de la sagesse.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Jacques TAURAND : Le Château de nulle part (11 €, 103 pages, illustration de Françoise Coulon, L’Harmattan, Paris, 2004)

Poète, nouvelliste et chroniqueur bien connu de nos lecteurs, Jacques Taurand est l’auteur d’une bonne quinzaine de publications. Proche des poètes de l’École de Rochefort et de Michel Manoll, sur lequel il a donné un essai de référence (Michel Manoll ou l’envol de la lumière, L’Harmattan, 1997), le poète cultive néanmoins, avec sa propre voix, cette filiation fraternelle. Son œuvre de nouvelliste, qui a commencé avec la publication d’Un été à l’Isle Adam (éd. Clapas, 1997), s’est développée parallèlement à sa création poétique. Le texte court est le genre de prédilection de l’auteur, qui a également été tenté par le roman. Avec ce Château de nulle part, Jacques Taurand aurait pu écrire son premier roman. Ce n’est pas le cas. Peut-on le regretter ? Oui, car ce récit comportait tous les ingrédients, à commencer par le souffle, pour rebondir et être prolongé. Non, car il nous paraît abouti, tel quel. Comme d’habitude, Taurand laisse le soin à son lecteur de poursuivre lui-même l’histoire, en l’intégrant à son propre imaginaire. Le Grand Meaulnes est évoqué, assez tôt, par le narrateur, et ce n’est pas un hasard. Il est vrai que Le Château de nulle part se situe délibérément dans le cousinage d’Alain Fournier. Est-il vraiment de « nulle part » ce château ? Nous apprenons qu’il se situe dans l’Oise, au sein du Domaine du Bois des Biches. Le narrateur se souvient de son adolescence et nous conte un séjour qui bouleversa sa vie, dans l’immédiat après-guerre, au début du printemps. À cause d’une fragilité pulmonaire, Pierre est placé par ses parents chez des commerçants (amis des patrons de la mère) qui, à la campagne, tiennent un curieux établissement, tout à la fois épicerie, débit de tabac, buvette et restauration. Sans le savoir à l’avance, mais en le pressentant, le jeune Pierre va s’éveiller, s’émerveiller et faire l’apprentissage de la vie, de l’amitié comme de l’amour : Les êtres, les objets qui peuplaient les endroits que je fréquentais constituaient pour moi le premier maillon, la première lettre d’un message que je m’efforçais de déchiffrer : celui de la vie dans laquelle mes quatorze ans se frayaient un chemin… On apprend à connaître les choses de la vie avant d’y être soi-même totalement investi. Entre l’étude, le matin, et les villégiatures de l’après-midi, les jours s’écoulent au contact de la nature, de la vie rurale et de ses acteurs, dont le jeune Michel, dont Pierre devient l’ami, et Claudine la servante au teint coloré, à la ronde santé et qui mordait à la vie sans faire d’inutiles complications. Ce récit se veut initiatique. Il prend véritablement son envol, avec la découverte, à travers les bois, du château : les baies à meneaux et croisillons faisaient songer à de grands yeux noirs dans lesquels se reflétaient des éclats de ciel. J’eus le curieux sentiment d’avoir déjà vu cette demeure en rêve, comme avec l’entrée en scène de la comtesse de M., et de ses petits enfants, Eric et Elisabeth : ses yeux d’un bleu soutenu jetaient, de temps à autre, des éclats d’améthyste. Dés lors, Elisabeth devient le pivot du récit. La relation ambiguë qui la lie à Pierre constitue la trame et le fil conducteur de cette histoire qui nous tient, avec son lot de mystères, de passions souterraines et de douleurs aussi, et ce, jusqu’à l’épilogue qui intervient durant la guerre d’Algérie. C’est à ce moment que Jacques Taurand lâche la bride et nous laisse le soin de poursuivre l’histoire, en nous confiant ses personnages. Le château est une blessure lumineuse et toujours vive dans un coin de la mémoire. « Nulle part » est l’autre nom de la solitude et du secret que chacun emporte.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005)