Jean-Vincent VERDONNET : Furtive écoute, coll. Le Buisson ardent, éd. L’Arbre à paroles, Amay, Belgique, 2011, 5 €.

Sous l’offrande chuchotée de ce titre, nous recevons la grâce d’une parole parvenue à la vraie sérénité, comme à la vraie simplicité. Non pas dépouillement, qui sous-entendrait on ne sait quel effort pour un vers décharné : le poète ne s’est nullement imposé d’émacier le verbe ; la bonne ascèse a produit sveltesse et jeunesse pour les octosyllabes de ces cinquante-six poèmes à la brièveté rayonnante (cinquante-cinq tercets et un quatrain pour conclure).

Paradoxalement, le poème bref – petit maillon de la chaînette offerte – ne doit surtout pas inciter à une lecture trop rapide. Si ces quelques mots posés sur la page ne requièrent nul décryptage, le poète ne s’étant livré à aucun brouillage intellectuel, en revanche ils réclament l’amitié du lecteur, celui-ci venant à les chérir pour les faire siens dans un consentement profond. À vrai dire, cela se fait sans effort tant la suite des tercets recèle de séductions simples – et parfois même franchement rieuses :

Au fond du pré voici qu’un âne
se met à braire t’emplissant
d’une muette hilarité

ou encore :

Dans le brouillard l’aube inquiète
en tâtonnant cherche ses billes
Un geai s’invite à la partie

Le plus souvent, c’est un regard d’émerveillement tranquille qui est porté sur la vie environnante :

Un pont de pierre une fumée
le val est un bol de lumière
que le chant d’un coq a fêlé

et, dans l’âge, intérioriser ce regard ne lui ôte en rien l’acuité :

D’un pas craintif tâtant le sol
c’est dans tes yeux que maintenant
tu regardes la nuit tomber

Au total, une lecture qui, pour peu qu’elle soit attentive, donne ce sentiment, rare, d’avoir pu, un moment, fouler librement les pentes du « royaume ».

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 34, 2nd semestre 2012.

Jean-Vincent VERDONNET : Dernier fagot, Rougerie, 70 p. – 12 €

Ouvrant le dernier recueil de Jean-Vincent Verdonnet, on est envahi par un sentiment de tendresse qui ne nous quitte que longtemps après avoir tourné la dernière page. On connaît de Jean-Vincent Verdonnet la plus grande partie de son œuvre, également publiée par Rougerie, « Où s’anime une trace », et c’est chaque fois la même émotion, la même possession de la terre et des hommes qui habitent le cœur et l’esprit. Le pessimisme de Jean-Vincent Verdonnet n’est pas à démontrer ici, mais les vers sont tant bellement versés à ce dossier de la tendresse que je ne puis m’empêcher d’en citer quelques extraits.

« Mais un écho inespéré
a tissé lentement sa toile
dans les yeux qui ne verront pas
la grande nuit gagner le monde »

Après une éblouissante existence vouée à la poésie, Jean-Vincent Verdonnet se retourne et considère avec un certain humour la philosophie qui le tint debout parmi les poètes.
« Dernier fagot » ? Sans doute ! mais d’un bois précieux.

« Chaque mot que tu as laissé
dans le cœur battant d’une page
t’empêche de mourir vraiment »

Un livre dense, conçu par un poète ouvert au monde qui se crée, ouvert au monde qui s’en va.

©Jean Chatard

Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 32, 2nd semestre 2011

Henri VANDEPUTTE : Lettres à Félix Labisse 1929-1935, édition établie par Victor Martin-Schmets, avant-propos et repères chronologiques par Jean Binder, (244 pages, 25 €. Éditions Rafael de Surtis, 7, rue Saint-Michel, 81170 Cordes-sur-Ciel).

Henri Vandeputte a approché Utrillo, Modigliani, Apollinaire, Marie Laurencin, Picasso. Il a défendu Zola au moment de son célèbre procès de février 1898. Il fut cité comme témoin à décharge au procès d’Henri Guilbeaux accusé d’anarchisme. Il a correspondu avec Gide, Max Jacob, Claudel, Francis Jammes, Henri Ghéon, Maeterlinck, Mallarmé. Il a rencontré Mistinguett, Chaliapine. Spilliaert et Labisse ont peint son portrait. Il fut l’ami d’Ensor, de Ghelderode, de Crommelynck, de Paul Neuhuys, de Max Elskamp. Il a fondé et dirigé quatre revues auxquelles collaborèrent Camille Lemonnier, Verhaeren, Gide. Il a collaboré lui-même à plus d’une centaine de revues et de journaux. Sur le plan matériel, il est devenu l’un des principaux actionnaires des Palaces d’Ostende. Il a accumulé de fabuleuses collections. Il fut riche, puis pauvre, parce qu’il finit par tout perdre, victime de son addiction au jeu et de la crise de 29. Sur le plan professionnel, il fut commerçant, éditeur, professeur, agent de publicité, secrétaire de casino, journaliste, directeur de galerie d’art, libraire, bouquiniste, mais avant tout poète, mais aussi romancier, critique et chroniqueur. Il servit de nègre à Willy et écrivit des romans populaires sous différents pseudonymes. Né à Bruxelles en 1877 et mort à Ostende en 1952, Henri Vandeputte, cet écrivain belge d’expression française, est aujourd’hui méconnu et oublié. Personnalité hors du commun ; écrivain qui s’est toujours tenu à l’écart des écoles littéraires, les traversant sans adhérer à aucune, Henri Vandeputte ne méritait pas le purgatoire. Victor Martin-Schmets a consacré de nombreuses années à l’en tirer, notamment avec sa monumentale édition des Œuvres complètes de Vandeputte (éd. Tropismes) en douze volumes (près de 6000 pages). Cette édition est aujourd’hui épuisée, mais Victor Martin-Schmets, n’en poursuit pas moins son travail sur le poète. Avec le précieux concours de Jean Binder (éminent spécialiste, nous le savons, des œuvres de Félix Labisse et de Lucien Coutaud), il publie aujourd’hui, dans une très belle édition, avec un superbe cahier iconographique en couleurs, les lettres de Vandeputte au peintre Labisse ; lettres qui témoignent d’un âge d’or (celui d’Ostende, la « reine des plages », ville cosmopolite du début du XXe siècle) que la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale allaient faire disparaître. Ces lettres sont un témoignage non négligeable sur l’essor et les débats artistiques de l’époque, et bien sûr à propos du poète Vandeputte, du peintre Labisse et de leur entourage.

©Karel Hadek

Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 32, 2nd semestre 2011

À Céline Varenne

Un jour – enfin il faut s’efforcer d’y croire – découvrira-t-on les poètes de l’invisible, ces anonymes de nos années. Ils ont vécu, ils sont passés sans être vus et leurs œuvres, disponibles, se tiennent de l’autre côté de la barrière. À la fois trop impatients, trop sauvages, trop indifférents, ils n’ont ni cherché à être approchés, ni eu l’idée de s’approcher. Sans peut-être le formuler explicitement, ils considéraient que la poésie se suffit à elle-même. En art véritable, elle les abreuvait assez, nourrissait assez les jours à vivre. Visible ou invisible, qu’importe finalement ! La perception sociale d’un ouvrage est un simple attribut qui n’intervient ni dans sa production, ni dans sa permanence. La participation à l’économie humaine, seul bien ayant valeur, s’inscrit dans un registre plus élémentaire, qui arrose les mots et le souffle de vie sans autre motivation que de faire ‘le job’. On peut s’étonner de cette discrétion souveraine, mais n’est-ce pas le propre de l’essentiel des activités humaines qui participent à la communauté sans que l’œil de la conscience publique jamais ne les effleure ? Et puis, il y a dans la poésie un devoir d’avenir, une nécessité de se détacher du présent, et ce devoir participe de son invisibilité, non qu’il s’y trouve l’orgueil de prendre part au progrès en se prétendant en avance sur ses contemporains, mais elle élabore un rapport au temps qui résiste à toute logique d’enchaînement. Pourquoi ce poème aujourd’hui plutôt qu’hier ou demain ? Soudain le poème est là et encore là et toujours là, et seule son inscription dans la durée force l’arpenteur du jour à percevoir et accueillir sa présence.

Une des vertus à se retourner un jour vers ces poètes invisibles sera de découvrir dans leurs œuvres une profonde liberté d’esprit comme il en fait soif aujourd’hui. Ce jour – s’il se produit – mettra sûrement en lumière la poésie de Céline Varenne et on trouvera alors goût à la lire et la réciter ; d’abord parce qu’elle contient des poèmes dont la justesse est faite pour s’imprimer dans les mémoires ; ensuite, parce que sa construction à la fois simple et rigoureuse est un appel à la liberté de l’imaginaire et de l’esprit ; enfin parce que la poésie de Céline Varenne porte la trace de quelques-uns des fantômes qui hantent et interrogent nos jours.

Trois poèmes pour une anthologie

L’œuvre d’un poète forme un ensemble dont les lecteurs assidus aiment à parcourir les paysages, se recueillir devant tel angle de vue, se déplacer, entendre ici d’autres notes, recevoir là d’autres parallèles, les quitter, y revenir. Ainsi peut se comprendre l’injonction de Jean-Pierre Rosnay, dont Céline était une amie proche : « entrer en territoire de poésie ». Chaque poète met à jour un nouveau territoire, le cultive et l’entretient. Mais chez quelques-uns émergent des poèmes qui débordent le territoire. Ils en sont issus, ils en ont toutes les marques, mais ils s’en distinguent par la puissance singulière qu’ils dégagent. Le poète a disparu, le poème respire par lui-même, cherche secrètement les mémoires qui sont prêtes à l’accueillir pour qu’il déploie sa pleine mesure.

Céline Varenne peut se targuer d’être à l’origine de quelques poèmes de cette nature qui trouveraient leur place dans une anthologie des poètes invisibles. Je ne prétends pas, bien sûr, être exhaustif, mais on ne peut pas citer Céline Varenne sans faire référence à son Christ Jaune [[« La couleur confisquée », Paris, Librairie-Galerie Racine, 1998, p. 77.]]

« Christ jaune
cloué sur le bois
dont on ne sait pas
s’il est vide ou non
creux ou plein (…)

Christ jaune
parent des corps écartelés
de l’enfance égarée
des empires disparus
et de l’aurore boréale (…) »

Le poème est simple, quatre strophes de onze vers qui vont leur chemin sans se retourner, sans commentaire, bien conscients de ce qu’ils ont à faire et qu’ils entreprennent sans faillir. De même, dans le même recueil, le poème Troupeaux d’Èves, qui fait toucher la puissance lyrique et nerveuse de la poésie de Céline :

« Troupeaux d’Èves chassées de l’Éden
Vous les effarées les blafardes les crépusculaires
Les orphelines »

Je retiendrai aussi le poème Océan indien tiré du recueil « Les Tambours du sel », qui fait mémoire d’une rencontre passionnelle avec la terre de la Réunion :

« Je hais l’amour que j’ai pour toi
Qui me lie comme une souche
À ta colère
Qui roule sec
Dans le toboggan de tes chairs (…)

Je hais l’amour que j’ai pour toi
Qui les jours de grand chaud
Encolle mon corsage
À pleine pulpe (…) »

On trouve dans ces poèmes la vitesse propre à la poésie de Céline Varenne, sa puissance évocatrice servie par une maîtrise technique sobre et efficace. Avec ce poème, elle s’inscrit dans la poésie des îles de l’océan indien sous la figure tutélaire de Robert-Edward Hart. On retrouve la puissance des images, l’ardeur et la brutale élévation vers des spéculations les plus hautes et on a envie de les faire dialoguer et lui, répondre à Céline au sujet de cette île :

« Tu es la beauté première
tu es l’adolescence
l’essence
de cette joie de vivre et de ce désir de mourir (…) »
[[« Mer Indienne », Île Maurice, The General Printing & Stationery CY, LTD, 1925, La journée mauricienne p. 10.]]

D’autres poèmes respirent dans ma mémoire comme Poème à rebours[[« La sandale broyée », Paris E. D.P, 1990.]], qui s’inscrit dans une veine de poème en prose, ou sa version des hommes du sud, Les hommes, avec ce cri sensuel « Laissez-les moi mon Dieu. »

Dans l’atelier du poète

Il peut paraître inconvenant de parler de technique en poésie. La décence voudrait qu’on laisse pareilles préoccupations d’arrière-cuisine aux universitaires qui ont choisi d’en faire leur métier. Après tout, le poème vaut pour lui-même, que nous importe les procédés plus ou moins perceptibles qui parviennent à le rendre singulier. Sauf que, le public habitué à lire les œuvres par l’entremise de ces doctes passeurs, a besoin qu’on guide son œil et son oreille pour découvrir le relief d’une œuvre d’art. Il suffit de se rendre dans un musée pour constater tout l’appareillage dont on entoure un tableau pour qu’il parvienne jusqu’au public. Donc, ne boudons pas notre plaisir tant l’art de Céline Varenne se prête à l’exercice par la simplicité et l’efficacité des moyens employés.

La langue de Céline Varenne est économe en verbes qui fournissent comme deux ou trois photographies. Entre deux verbes, se succèdent des descriptions rapides, qui accentuent la distance, le décalage entre les verbes. Cela donne un peu une première photo, la description saccadée d’une scène ou d’un paysage, et une seconde qui révèle combien les choses ont avancé entretemps. Exemple : « il portait / haut sa tête sèche / à la peau fendillée (…)/ son âme était en fête »[[« La couleur confisquée », p. 13.]] Première photo décrivant non une personne, mais un glacier – enfin on le suppose puisque tel est le titre – les détails hésitent entre un regard amusé et une sereine miséricorde puis, décalé, rapide et ferme, un éclatant « son âme était en fête » qui éclabousse la description première, la fait jaillir autre et la suspend brutalement puisque le poème vient de s’achever. Parfois le verbe est à la fin pour arrêter la description et l’ouvrir comme une note qu’on prolonge. Parfois le verbe est au début et on use jusqu’à l’extrême son potentiel de vie jusqu’à l’éteindre comme par étouffement : « La main s’exprime / plus que le visage / mais le pied / moins contrôlé / cherchant le laid / pour fuir le beau à l’heure tue (…) »[[« Tireur de langue », Roumanie, Galaxia, 1995, p. 42.]] Bien sûr, l’emploi des verbes chez Céline Varenne ne se résume pas à ces schémas simples, reste qu’il est une des pièces clefs de sa poésie. En lui, repose le rythme secret de chaque poème. Dépouillé du sens ou de l’action, il porte la charge du souffle qui est l’identité profonde du poème.

Une autre caractéristique de la poésie de Céline Varenne tient au choix provocant de sa palette de vocabulaire. En un mot, elle aime à mélanger les genres, à touiller les registres : les mots recherchés et les mots simples, les mots de l’écrit et les mots de l’oral, les mots qui s’opposent deux à deux, se disjoignent, s’ignorent. La provocation est souvent flagrante, joyeusement excessive : « un troupeau de blancs pachydermes / passait dans le brouillard »[[« La couleur confisquée », p. 25.]] ou « d’une main conductrice / l’aède vous débusque »[[« La couleur confisquée », p. 81.]]… Parfois, elle est subtile, un léger décalage qui colore le vers d’une mélancolie de clown triste : « va-et-vient de l’ange »[[« La couleur confisquée », p. 71.]]. Parfois aussi, se dégage une simple étrangeté, une bizarrerie qui interroge le lecteur : « imploration à la rudesse / d’un calvaire breton »[[« La couleur confisquée », p. 70.]]. Dès La sandale broyée, on note chez Céline une attirance pour la langue parlée, en particulier pour les expressions locales qui avivent de leurs couleurs le poème. Au fil des recueils, la tendance se précise jusqu’à plonger entièrement dans l’oralité de la langue pour y puiser sa force et son étrangeté. Le recueil bilingue franco-roumain Tireur de langue est un manifeste pour déloger la poésie de son terrain naturel. « Dur d’être poète / un casse-gueule / dur d’entrer dans la peau de ses victimes »[[« Tireur de langue », Roumanie, Galaxia, 1995, p. 35.]]. En effet, la recherche n’est pas esthétisante, ce n’est en rien la nature de la poésie de Céline Varenne, mais une volonté de se décentrer, d’aller vers l’autre. La provocation n’a rien de gratuit, bien sûr, elle abrite une volonté d’accueillir l’étrangeté de l’autre pour ce qu’il est, une fidélité à la différence qui ne peut s’enclore.

Dernier élément technique que je voudrais dégager, c’est la qualité des vers de Céline Varenne. Ils sont brefs, peu d’enjambements, des cellules de sens et de couleur qui reflètent bien la brièveté et la rapidité de sa poésie. Ils affichent également un mélange de fermeté et de fragilité. La fermeté est souvent donnée par le choix d’allitérations qui rend l’unité insécable, la fragilité par la suspension du vers qui découvre un premier sens, presque inavoué, pudique et dont le sens complet, englobant, est repoussé dans l’unité sémantique de la strophe ou du poème, ce qui retarde la compréhension d’ensemble, qui semble comme hésiter à se dire. Deux vers, très simples, arrachés de la gangue de leur poème m’ont marqué car ils contiennent deux affirmations prononcées à voix basse : « Il n’y a que l’errance / comme lieu de vie »[[« La couleur confisquée », p. 98.]] et « Je suis le grain / dans la terre consentante »[[« La couleur confisquée », p. 107.]] Le reste des deux poèmes ne vient pas recouvrir ou amoindrir leur affirmation, mais la chanter, la parfaire en la dégageant de tout pathos. Il ne s’agit pas de peser sur le lecteur, juste de lui ouvrir la force du dire en vérité, de découvrir la force fragile de la franche simplicité.

La foi sauvage

La poésie de Céline Varenne se regroupe autour de quelques thèmes forts. La mer est omniprésente : ses odeurs, ses impulsions, ses humeurs traversent la poésie, arrière-plan incontournable qui inscrit le mouvement comme composante première : « je suis d’écume / l’âme y danse »[[« La couleur confisquée », p. 95.]] peut être lu comme une déclaration de principe, mais aussi comme une découverte toujours étonnée de soi-même. Il y a aussi la couleur blanche. Elle est un thème. Certes, la palette de Céline Varenne use avec générosité des couleurs. Elle bariole volontiers ses vers, et pourquoi retiendrait-elle son goût pour le foisonnement et l’exubérance ? Mais blanc, pour le poète n’est pas une couleur. Il agit comme signe qui veut suspendre le temps, ouvre à des intérieurs plus intimes, plus immobiles. Le vers se fait plus méditatif, plus douloureux. S’ouvre aussi avec le blanc, le pays des morts et des fantômes. La neige, chez Céline Varenne, a affaire directement avec la mort et son mystère. Elle n’est pas de ce monde mais comme une porte secrète vers un autre monde qui attire et effraie à la fois.

Autre thème que je retiens : l’ample matériau religieux qui gît désarticulé dans la forêt de ses poèmes. Il porte son enfance, ses espérances et sa rage. Il dialogue avec son regard critique sur le monde. Il nourrit son ironie, ses rêves. Me touche son poème Je rends heureux, qui est une réécriture sensible et sensuelle de la parabole des talents :

Heureux les bonimenteurs, les prodigues, les visionnaires, les proscrits, les petits hommes verts, vagabonds à l’enfance volée; ils atteindront l’île-royaume.
Heureux les paumés, les étranges, les douleurs; ils seront aimés.
Heureux la rêverie aquatique, le rire des amants mouillés.
Heureux les dos blancs miraculés des femmes nues (…).

On y retrouve la rêverie insolente du poète, sa liberté pleine de fraîcheur et d’utopie. On peut y trouver aussi la trace de l’encombrement de nos jours où traînent les blocs énormes d’une culture chrétienne effondrée. Disparates, illisibles, omniprésents, ils étonnent car en se rapprochant de chacun, quelque chose vibre encore, quelque chose parle encore. Et ils n’ont pas leur pareil pour nous solliciter et nous interroger nous-mêmes. Sauf que désormais leur figure d’ensemble est impossible à redessiner, sinon de manière fantasmée et repoussante tant ils semblent plein d’intransigeance, de dogmatisme et de morale étroite. Aussi, aux âmes qu’une foi sauvage nourrit encore, une césure s’est opérée. Foi et religion sont à jamais séparées. La seconde offre un paysage de ruine, la première erre et murmure une méditation blessée, à la recherche non pas d’un refuge, non pas d’une nouvelle institution, mais d’un engagement à renouveler auprès de ses semblables, des déshérités, des naufragés du vivre-ensemble. Quoi d’autre pourrait nourrir et faire vibrer une âme ardente qui veut encore croire à un destin de paix et de fraternité. Finalement, Céline Varenne retrouve les premiers ferments de la foi qui ne reposent pas sur les frayeurs de la nuit, mais sur les chants d’exultation, de louange et de révolte que les premiers hommes ont poussé en découvrant leur liberté face aux forces de la mort, une espèce d’acquiescement et de confiance en la vie ensemble.

Pour conclure, je pourrais raconter les nombreuses anecdotes que je partage avec Céline. Nos promenades sur la plage de la Baule, son sourire de joie narquoise, ses colères aussi brusques que généreuses ; mais, je ne voudrais pas déflorer son statut de poète de l’invisible, son anonymat que les jours d’aujourd’hui lui ont construit et qui sont le lot de tant de poètes. Après tout, pourquoi pas ? Qu’importe dans le fond, tant que le poids de cet anonymat n’entrave pas le verbe du poète. Un jour – faut-il le croire ? – ces artisans de l’ombre apparaîtront comme ces maîtres de l’art primitif, soudain neufs dans des yeux plus jeunes de sept siècles, neufs et libres de toute biographie. Reste, face à soi, leurs tableaux simples, présents, et qui nous écoutent, muets, se parler à nous-mêmes avec les mots qu’ils nous ont prêtés.

©Pierrick de Chermont

Christiane VESCHAMBRE : Robert & Joséphine (Cheyne éditeur, 2008 – 15,50 €)

Avec ce livre, Christiane Veschambre franchit une nouvelle étape, qui nous paraît décisive, dans l’exploration de sa propre parole [[Voir notre présentation de l’auteur au numéro 25 des Hommes sans Épaules.]]. Elle parvient au plus près de cette vérité poursuivie sans relâche : à la fois celle de l’écriture et celle de la personne.

Le poème « narratif » qui nous était annoncé, nous le dirions plutôt « évocatoire », car il ramène au jour d’une émotion contenue – et dans le partage d’une présence – la vie humble d’une famille dont l’auteur est la mémoire « incarnée ». L’histoire de nos parents nous est obscure. C’est de cette obscurité que nous venons, constatait déjà Christiane Veschambre dans son livre Les Mots pauvres. Et c’est précisément avec les mots les plus « pauvres » (qui ne sont pas les plus faibles) que notre poète invente et articule un langage différent de celui de ses écrits antérieurs, langage de pudeur pour conduire à la lumière et jusqu’à l’épure une mémoire dénudée.

Joséphine, la mère, mise au monde/ sans être née, son passage sur terre/ personne// ne s’en est/ aperçu. Les « comptines » du poème lui tressent l’osier/ d’un berceau ; moi, dit le deuil, je n’ai plus/ qu’à le balancer.

À travers le prisme des souvenirs d’enfance, une foule de petits émois, pauvres bonheurs à la modestie déchirante, vient témoigner que vivaient Robert et Joséphine, invisibles dans le chaudron de l’Histoire, dans la soupe de détresse.

Le poète dresse leurs deux figurines sur tumulus :

petites/ à poser/ au-devant de moi/ dans l’espace/ qui m’échappe// et m’attend

Un ouvrage de tout premier ordre et d’une telle originalité que nous ne lui voyons pas d’équivalent dans la création contemporaine.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jean-Vincent VERDONNET : Jours déchaux – Rougerie, 2006 – 13 €.

‘Les carmes déchaux vont en sandales et sans bas’, nous précise Littré. Est-ce à dire que Jean-Vincent Verdonnet, parvenu à un certain point de son ascèse poétique, aspire au dénuement, se veut de tout allégé afin de n’offrir à l’heure dernière, alors que l’on entend déjà frémir les eaux du Léthé, que : « …la transparence qui dépouille / et s’annonce au loin sur les eaux… » ? Avec ce recueil, le poète poursuit, mezza-voce, ‘ce battement de la parole’ qui se fait presque inaudible tant le poème se replie dans l’ombre portée des mots, tant l’image analogique et les hypallages le font s’identifier avec son environnement. Tous les thèmes chers à l’auteur sont ici repris, psalmodiés dans ses noces perpétuelles avec la Nature sa grande complice. L’éternel questionnement du poète se maille en notes sombres mais sereines sur la trame d’un quotidien paisible. ‘La vie est là’ aurait dit un autre poète, ‘simple, tranquille’… et l’auteur de Jours déchaux de poursuivre : « Sur la place grince l’enseigne / de l’échoppe du cordonnier / Un souffle d’air passe et s’en va / Cueillir l’aveu d’une ruelle / Où la vie / ne tient qu’à un fil / de silencieuse lumière » ou encore : « …au gré des heures / entre les murs d’une ruelle / S’y pose l’invisible essaim / de ces pas que l’on n’entend plus / et leur douceur en toi s’obstine / avec les années / de retour / qui se penchent sur les fontaines / où montent trembler des visages ».

À la proue de sa chambre, en parfaite osmose avec sa terre dont il éprouve les moindres vibrations, le poète interroge l’étendue qui s’offre à lui et s’amenuise : « …vers quel lendemain la contrée / doit consentir à se tourner / lorsque la journée / appareille / pour l’autre rive sans connaître / la distance qui l’en sépare ». Verdonnet cède volontiers la parole à la nature, confiant dans la sagesse des saisons. Toute manifestation végétale, minérale, animale devient signe, a valeur de présage, se charge d’un sens qui porte le poème au plus intime de l’être et en sollicite le profond mystère : « Quel sens peut être retenu / de la lecture de ce monde / de la poussière des messages / dont le ciel étoilé fourmille // Une incertitude persiste / tant que n’aura pas préludé / le chant de l’oiseau / entrebâillant pour toi l’énigme / qu’aborderait une étendue / muette en sa lente marée ». Tout se passe comme si, peu à peu, le poète prenait possession de son néant à venir, habitait les lieux dépouillés de la vie physique – les jours déchaux – et renaissait à la vie spirituelle dont le poème est le miroir. On évolue dans un monde d’ombres ; morts et vivants s’y frôlent : « Les façades se décolorent / Des passants viennent du silence / pour y retourner aussitôt ».

Avec Jours déchaux la parole de Jean-Vincent Verdonnet se fait de plus en plus proche du silence, épousant l’indicible : « Jours d’alors qui marchent déchaux / et la poudre de leurs chemins / quel château muet les accueille / sous l’aile de pierre grise ».

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Tourne manège, Jean-Vincent Verdonnet, dessins de Jean-Jacques Sarazin, La Fontaine de Siloé, BP 65, F-73801 Montmélian cedex 01.

Avec Tourne manège, Jean-Vincent Verdonnet nous entraîne à sa suite au pays de son enfance, et c’est plaisir de partager ces instants privilégiés où l’auteur, en quelques phrases brèves, s’attarde sans complaisance sur ces petits faits qui marquent les esprits curieux d’une jeunesse à peine turbulente où le bonheur de vivre emplit les journées d’un petit provincial qui deviendra le poète important que nous connaissons (voir Où s’anime une trace, publié chez Rougerie).

Par bribes, avec le seul élan de sa sincérité, Jean-Vincent Verdonnet restitue pour nous, en quelques lignes, ces petites anecdotes qui jalonnent une enfance puis une adolescence sereine dans un village où les êtres et les choses ressemblent à ce qu’ils sont. Bien sûr, il y a les espiègleries des petits villageois, leurs premiers émois devant les genoux entrouverts de la jeune institutrice, leurs yeux pétillants de gourmandise rivés sur les beignets de fleur d’acacia et les « merveilles », savamment confectionnés par la grand-mère. On tourne encore d’autres pages de ce manège à échelle humaine pour découvrir la spirale de papier recouvert de glu et de mouches frémissantes prises au piège des hommes, ou encore la vieille épicerie qui sent la lessive et la réglisse, les anchois et la morue salée. Dans ce village, il y a ceux qui boivent et ceux qui ont peur des serpents, ceux qui se louent dans les fermes pour les moissons et les autres, tous les autres, ces nombreux personnages hauts en couleur, convoqués par Jean-Vincent Verdonnet dans cette biographie originale et qui évoluent dans l’univers du poète faisant preuve ici d’un beau talent de conteur.

Chaque détail importe dans cet ouvrage de la fidélité et si le manège tourne avec les ans, c’est que Jean-Vincent Verdonnet en connaît sur le bout du doigt les mécanismes délicats et tendres.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Jean-Pierre VEDRINES : Les cérémonies de l’oubli, 20 pages, 10 € (Atelier du Hanneton, Les Presles, 26300 Charpey).

Une superbe plaquette imprimée à 250 exemplaires accompagnés d’un dessin aquarellé de l’auteur, cousus à la main et enveloppés avec soin dans du papier cristal, ce qui explique le titre de la collection : « Les cahiers-cristal ».Voilà pour ce qui est de la présentation. Le contenu, pour sa part, est largement à la hauteur. Jean-Pierre Védrines n’est pas seulement le directeur de l’excellente revue Souffles. Il est également peintre, romancier, mais surtout et avant tout, poète. L’oubli, la solitude, la mélancolie, sont les dominantes du recueil : Mais avant tout en moi il y a cet arbre, la fente, dans tout ce que l’homme n’est pas. Alors que le temps révèle la parole de l’idéale forcine noire, le poète cherche la sève liquéfiée dans ses os blancs. Le recueil tourne autour de ce vers qui ne cesse de revenir : Mais avant tout en moi il y a cet arbre. Cet arbre, nœuds des mains en attente des paysages innés ; cet arbre, la fente, dans tout ce que l’homme n’est pas ; cet arbre, porteur de lieux nus, d’offrandes, d’eaux fraternelles, lenteur si proche du soleil. Le poète est bien cet arbre enraciné à sa propre terre. A sa propre fin. Le poète est bien cet arbre que l’on abat.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in Poésie 1 / Vagabondages, n° 48, décembre 2006)

Lecture/rencontre avec Katty Verny-Dugelay

Katty Verny-Dugelay m’ayant demandé de la présenter, peut-être me pensait-elle doté de quelque fil conducteur capable de nous guider tous, ce soir, s’il en était besoin, dans son « Labyrinthe du rêve » (tel est le titre de son dernier livre, qui vient de paraître aux éditions de L’Arbre à paroles et constituera la dernière partie des lectures de ce soir).
Or je m’avisai bientôt — on n’est jamais trop attentif à la parole des poètes ! — qu’elle-même avait soigneusement déroulé ce fil idéal : je veux parler du bref poème qu’elle a, de manière on ne peut plus pertinente, placé en exergue à l’affiche de cette manifestation. Vous l’avez donc déjà lu, mais, sans plus attendre, le voici à nouveau (et Sabeline Amaury vous le dira encore — et tellement mieux ! — un peu plus tard).

Danses, souffles, ondes
issus de l’être
exilé ou exultant.
Capture de l’invisible
dans les voilures du vent
l’ivresse des nuages
les volutes de la mer.

Ici, sans aucun doute, une définition de la poésie : ce sont des danses, ce sont des souffles, des ondes, et, à leur origine, il y a l’être, l’être que l’on interroge. Seulement, cet être a deux visages : l’un, tourné vers sa propre douleur, exilé, douleur d’exclusion et de retranchement ; l’autre, vers son intime joie, dans ce qui lui donne le plus d’éclat, — l’être est dit exultant.

Exilé ou exultant, de lui, sort tout le logos poétique. Ainsi notre poète élucide-t-elle l’origine. Mais son fil continue de courir, et voici que nous sont soudain révélés les attributs de cette poésie : elle sera capture de l’invisible. Il y a donc quelque chose que, sans elle, on ne voyait pas. La poésie, par moments, parvient à s’en saisir. Elle le fait à travers le visible. Ce visible est d’ailleurs essentiellement mouvant : ici, pas de roc, pas de falaise ni de muraille ; mais quelque chose qui flotte et se dérobe :

(…) les voilures du vent
l’ivresse des nuages
les volutes de la mer.

Vu d’ici, le monde bouge. N’est-il pas en proie à ce qu’on pourrait appeler, d’une expression bachelardienne, « la dynamique du paysage » ? Chez Katty Verny-Dugelay, le poème revêt tous les caractères d’une errance, d’un voyage infini, d’un nomadisme éternel : passant à travers les choses, auxquelles elle se lie par une attention scrupuleuse et fascinée, elle offre un exemple assez peu commun de ce qu’aujourd’hui, bien à tort, on n’ose plus nommer l’inspiration. Ce mot lui convient pourtant si, par inspiration, on entend ce que pouvait y voir Max Jacob. « L’inspiration », disait-il dans son Art poétique, « c’est le passage d’un monde dans un autre, de la terre au ciel, ou d’un ciel à un autre ciel. »

La première série de poèmes choisis, que va maintenant dire Sabeline Amaury, nous permettra, j’en suis sûr, de sentir tous les pouvoirs de cette approche idéale : une poésie cursive qui s’offre d’étonnantes libertés d’espace, d’où se forment, par endroits, des cristaux d’âme, de temps et d’univers, par l’opération de ce que Bachelard, encore, appelait « une métaphysique instantanée ».

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Il y a, chez Katty Verny-Dugelay, une attention passionnée aux « choses ». À sa manière, qui n’est pas la moins convaincante, elle répond ainsi à l’exigence exprimée par bien des voix de notre époque : celle d’un retour aux choses. Je pense à ce mot de Claude Esteban, lancé voici plus de vingt ans : « Nous avons aujourd’hui à réapprendre le chemin des choses. » Je pense aussi à un Pierre Oster Soussouev s’écriant : « Croire, et comme un chrétien au Christ, en la tenace vérité des choses. » Car, soyons clairs, il ne s’agit nullement, chez notre poète, d’inciter à un énième débat de linguistique, de poétique ou de sémantique sur le thème inépuisable du mot et de la chose. Les choses ici présentes sont patiemment débusquées, habitées, bercées, elles sont touchées, goûtées, caressées. La poétique est celle du contact avec le corps, — « dans la béance animale du corps », pour reprendre l’expression très forte que livre ici le poème.

Mais c’est encore à notre poète elle-même qu’il appartiendra de confirmer l’orientation dans sa propre parole. Sans doute avez-vous, tout à l’heure, attrapé au vol de la lecture cette saisissante suite d’images :

( … ) tu peux à la vitesse du
lièvre en fuite
franchir la ligne d’horizon,
comme derrière un voile de novice
chercher l’autre côté des choses

Un questionnement sera donc tenté au delà des choses ; ces choses, si tangibles, dures comme douces, dans la complicité du corps épanoui, leur présence se mue soudain en rideau d’absence, derrière lequel le vrai se tenait donc caché.

Vérité vers laquelle seule peut conduire une exigeante introspection, car Katty Verny-Dugelay sait que le vrai poème, le poème véridique, est celui où s’interpénètrent les deux réalités du monde et de la conscience. Écoutons-la :

Rien de ce qui est au dehors n’est éloigné de ce qui est au dedans.

ou encore :

Cherche l’image tienne que renvoient les miroirs de l’espace et de l’eau (…)

ou encore ce poème aux teintes de crépuscule mallarméen, mais qui interroge bien au delà du néant des « ptyx » et des « abolis bibelots » :

La nappe rouge du couchant
Les photophores de la rivière,
Seul,
avec la coupe pleine du regard
un désir d’ambroisie
De qui
es-tu l’hôte ?

Et c’est la demeure de l’hôte, d’où ne sont absentes ni les évidences de l’amour ni celles de la mort, que Sabeline Amaury va maintenant faire visiter : sous la plus vive lumière de ce double sens du mot « hôte », celui qui est reçu et celui qui reçoit, où se poursuit encore le dialogue si fécond du dehors et du dedans.

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Maurice Cury, à propos de notre poète, a pu évoquer le « charme d’un langage aérien » et une parole « légère et fruitée, lumineuse et colorée ». Vraiment, on ne saurait mieux dire. Pour ma part, j’ajouterai qu’à de certains moments, s’opère, chez Katty Verny-Dugelay, une synthèse étonnante entre deux penchants qui nous sont également précieux : celui d’une luxuriance méditerranéenne et celui d’un « japonisme » diaphane — le haïku n’est pas loin parfois, comme ici par exemple :

lune narcissique
prise
dans le bassin
un coup de vent
te fait perdre la face

Mais nous en arrivons maintenant à la dernière étape de ce parcours, avec Labyrinthe du rêve. Sous ce titre vient de paraître, aux éditions de l’Arbre à paroles, un livre où Katty Verny-Dugelay offre une suite de petites proses illuminantes.

Le rêve répand là, en de multiples ramilles, la force d’une vie végétale dont, sans doute, vous entendiez déjà la poussée parmi les textes lus précédemment, dans cette parole qui est rhizome, (…) espoir d’éclatement / à la pleine lumière. Ailleurs, de même, Katty Verny-Dugelay nous parle des reptiles racines de l’arbre, de son temple végétal.

Ainsi, le rêve où nous entrons à présent, c’est d’abord la réalité d’un vrai labyrinthe de soleil, de pierre, d’eau et de verdure, dont l’auteur nous fait, en son vieux pays languedocien, franchir le lourd portail.

La poésie y procède comme par boutures, de petit paragraphe en bref alinéa ; elle-même semble avoir poussé là sous la tendre vigilance d’un maître-jardinier qui aurait médité cette parole d’Alain : « Le vrai poème est un fruit de nature ». Et, de fait, le labyrinthe va fructifier en chacun de ses acteurs, humble ou magnifique — arbres, dont le séculaire micocoulier et les cyprès austères, fontaine, escargots, lézards, couleuvre, libellules, phalènes, cigales, cadran solaire, balançoire —, chacun délivre une couleur, une musique, une pensée : cela, qui est la vie et, finalement, le rêve.

Dans le voisinage, un hameau se laisse deviner au soleil ; la terre recèle ses ammonites, ses vestiges latins ; il arrive un écho dionysiaque de vendanges à l’ancienne ; et le rêve se hausse à la proximité des étoiles et des dieux.

À votre tour, vous êtes invités à parcourir ce labyrinthe. L’auteur en a triomphé : le plus grand risque couru était évidemment celui d’une musique à programme, d’une poésie descriptive. Katty Verny-Dugelay a su l’éviter. Elle ne décrit pas ; comme le voulait Éluard, simplement, elle « donne à voir ».

©Paul Farellier