Fabio PUSTERLA : Deux rives, traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet (Cheyne, coll. D’une voix l’autre, Le Chambon-sur-Lignon, 2002)

Cette édition bilingue d’extraits de deux des livres de Fabio Pusterla, poète suisse d’expression italienne, vient heureusement compléter la liste encore trop courte de ses œuvres traduites en français. Un poème liminaire en deux parties donne son titre au livre : Deux rives. On défierait quiconque de ne pas être bouleversé à sa lecture :

Une barque traverse, un peu avant l’aube […]
franchit une frêle frontière
et disparaît. Soit ce voyage
vain. Essentiel et vain.
Pas de fret, nul lieu ou aller.
Rien que ces eaux à traverser,
de la lumière à devancer,
rien que le jour à diviser
de la nuit.

Bouleversé de ces quelques mots qui sont notre tout et notre rien, vie et poésie étroitement mêlés, en ici et maintenant ; bouleversé non par le discours, encore que la maîtrise verbale soit évidente, non par une plainte, que n’enfante pas le mal-être du poète, mais peut-être par la limpidité de cette douleur, exprimée le plus souvent à travers les êtres et les choses d’un quotidien de grisaille. Par quelque côté, « l’ambiance » de ces poèmes peut rappeler celle des films les plus épurés d’Antonioni, comme par exemple Le Cri :

Sans rien regarder, entre résidus sur le bas-côté,
et tristesse résignée des autoroutes,
l’œil fatigué erre, se pose
sur les talus, les nodules de maisons, on roule
sous les viaducs et les incinérateurs, vers les usines
s’étiolant dans le soir.
[…]

Mystère et vérité d’un cri au ras des choses, déchirant et retenu. Il faut lire ce livre de la suprême patience : la patience d’écouter chaque voix.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 15, 2ème semestre 2003)