MARCEL RIST : Poèmes sauvés, Le soleil et la mort, Figures, D’aucun d’un mot, Catalogue, Aller vers René Char, L’autre ou le cycle de N., L’universel contrepoint, Suites et Carnet pour un automne d’arbres (tous ces livres parus en 2000 aux éditions du Soleil natal).

N’est-ce pas une manière d’événement quand, dans un livre et selon le vœu pascalien, en place d’un auteur ou en plus, « on trouve un homme » ? Voilà pourtant ce qui nous arrive à la lecture des neuf (!) livres publiés simultanément par Marcel Rist en l’an 2000 – quasi-première publication dont on comprend néanmoins qu’elle survint tardive dans l’âge de l’écrivain –, neuf ouvrages distincts, facettes multiples, mais reflétant le tout d’une même personne, et donc d’un monde.

Poèmes sauvés : comme l’indique ce titre – assez poignant – du premier recueil, ce sont des textes en petit nombre, repris, par choix sévère, d’un ouvrage beaucoup plus volumineux, aujourd’hui désavoué. Vers ou proses, leur perfection formelle (quel luxe qu’un vrai classicisme !) voile et dévoile une passion tout intérieure : « […] l’explosion, le tremblement dans la lumière, du grand buisson d’aubépines à la lisière du bois sur la hauteur. Sa marque dans la floraison des périls. »

Le soleil et la mort (notre vue se dérobant au soleil, mais la mort fuyant notre vue) : un livre pour un seul poème d’une seule page, mis en relation (folle ou sage ? – savante en tout cas) avec une suite de figures géométriques et leur commentaire dus à un parent complice (frère, cousin, fils peut-être). On se prend à songer aux « mathématiques sévères », si chères à Lautréamont…

Figures : ouvrage en deux parties où réapparaît d’ailleurs le poème Le soleil et la mort, et qu’on pourrait dire livre de « la mort qui se rapproche ». Nous y trouvons ce fascinant passage, dont l’inspiration n’est pas si éloignée de celle d’un Pierre Gabriel, par exemple : « Cette nuit où nous respirons encore, n’est pas, comme naguère, celle qui tombe le soir pour s’écarter au matin. Fleuve en crue resserrant à mesure ses rives invisibles, de toute sa pesanteur elle monte. Elle monte sans cesse plus vite autour de nous. »

D’aucun d’un mot : précédés d’un « antipoème », onze poèmes dont celui-ci, qui foudroie : « Je vis ses lèvres dans mes yeux, lèvres fermées sous mes paupières closes. Des mots sans suite, une lumière d’or, entouraient, protégeaient, de quel danger, le rouge de son sang. »

Catalogue : petit livre énigmatique, exposition de portraits fantasmés dans les défauts et les aspérités d’un mur de plâtre.

Aller vers René Char : essai bref, adapté d’une conférence avec lecture publique, vision plutôt convaincante avec, en particulier, ce mérite : le poète Char n’y est pas dissocié de l’homme.

L’autre ou le cycle de N. : un livre qu’on pourrait voir, quoique sous-titré lui aussi poème, comme une nouvelle, d’ailleurs sobrement émouvante. Il s’y déploie toute une intelligence lyrique du grand âge : « Votre âge, chère, est l’embellissement de votre vie et de la nôtre. Je le vénère, ce que tous vous doivent. Je le chéris pour ce tremblement, cette auréole à votre visage, […] »

L’universel contrepoint : deux parties dans ce livre ; tout d’abord un « Poème allégorique » répondant à la perfection au titre de l’ouvrage par ses « chants et contre-chants » et son style fugué : « La respiration des hommes et de la mer et celle des arbres, la plus silencieuse. Bercement, soulèvement, croisement des poitrines et des vagues, du vent, des voix, de la musique tout entière, du théâtre, ombres et chair. » ; ensuite une « Lettre à Pierre » (ce destinataire est Pierre Oster), mise en relation très subtile des « préciosités » de Mallarmé et de Char.

Suites et Carnet pour un automne d’arbres : conclusion somptueusement offerte à cette rangée de livres. Des proses de grand style se succèdent : un style qui, pour paraphraser l’auteur, « nous effleure et nous approfondit ». Une sérénité empreinte de mélancolie et, parfois, une véhémence presque juvénile d’émerveillement, comme dans la dernière des Suites, Pour une chevelure. Enfin, le Carnet vient répertorier les arbres amis des promenades solitaires, ces « magnifiques que personne ne voit ». Le poète, lui, a pour eux toutes les attentions ; il les décrit presque à l’excès, il les nomme et les détaille, non pas comme l’aurait fait un Ponge : il ne pénètre pas l’objet ; sa précision est de l’ordre, non de la chose, mais du paysage ; et ce paysage est intérieur.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Le Cri d’Os, n° 37/38, octobre 2002)