Yves Bonnefoy rassemble ici deux études consacrées à André Breton – et formant la plus grande part de ce volume – qu’il fait suivre de quelques pages sur Léon Chestov.
Qui se soucie de poésie aura beaucoup à gagner à cette lecture : en effet, allant bien au-delà de l’hommage rendu à un grand poète, au-delà même de la marque de fidélité réaffirmée, dans la durée, par un dissident notoire, pourtant admiratif et affectueux, cet essai vise, selon les propres termes de son auteur, à comprendre mieux ce que sont les pouvoirs de la poésie, et de quelle façon et pourquoi elle a raison d’être et même nécessité.
L’exigence de liberté chez Breton, son respect du désir, la conviction intransigeante qui lui fait surpasser l’état du monde et la condition même de l’homme, sont mis en évidence : […] il y a, à portée de mains, à portée de cœur et d’esprit, des situations qui répondraient pleinement à nos aspirations les plus surprenantes ; […] des événements peuvent se produire, des caractères des choses se révéler, qui ne sont pas concevables, dans les circonstances « sordides » sous l’empire desquelles, pour notre honte, nous tolérons pourtant de rester.
Un éclairage particulièrement vif est jeté sur le « surréel », alors même que cette pièce maîtresse de la pensée de Breton appelle, de la part de Bonnefoy, les réserves que l’on devine, et qui l’éloignent, quand une empathie, comme naturelle, ne cesse de le rapprocher de Breton : Quelle vérité d’au-delà le vrai nous manque-t-elle, dont nous lui savons gré de prendre le risque ?
Des analyses lumineuses opposent la parole du récit – reflet de la contrainte et de la loi de nécessité – à celle du conte, espace de la transgression et d’une liberté de tous les possibles, celle précisément qui a pris possession de Breton, le conduisant à formuler, et d’une façon décisive, les seules questions qui soient sérieuses : qu’est-ce que la réalité, qu’est-ce que doit être la « vraie vie » ?
Autant qu’un écrit de poète à poète, un dévoilement de l’être poétique, au plus profond : l’occasion, pour chacun, d’un nouvel examen de conscience.
©Paul Farellier
(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 15, 2ème semestre 2003)