Paul FARELLIER : Tes rives finir (L’Arbre à paroles, coll. Traverses, 2004, La Maison de la Poésie d’Amay, B.P. 12 – 4540 Amay – Belgique, 7,50 €)

L’originalité n’est pas la moindre des qualités de ce recueil au titre si joliment ciselé. Chaque page, comme un ressac de mots, déroule, entre flux et reflux, au tempo du cœur et de l’esprit, ses lumineuses interrogations. Du ‘vivre’ à ‘l’écrire’, du ‘dire’ au ‘silence’, de ‘la parole’ à ‘l’absence’, l’auteur se penche sur l’eau mouvante du poème, se questionne (et se remet en question) sur le sens de cet acte fondateur qu’est le verbe poétique : Les mots, tu crois qu’ils t’emportent ?/ Ils ne sont que fragments déterrés… Avertissement liminaire qui souligne cette démarche ontologique et métaphysique du poète et pose, d’emblée, l’origine – et l’épreuve terrestre – comme nourricière et essentielle. Le poème ne jaillit-il pas de la glèbe humaine ? La première partie nommée : Ce pays mangé d’ombre en est l’illustration. La prise en compte des racines profondes s’exprime avec la souveraineté méditative et la fulgurance d’un Saint-John Perse : Ce pays – et naître maintenant. Le voyage est d’abord ‘anabase’. Paul Farellier éclaire l’intérieur de ses terres avant de tenter de franchir (de transmuter) et de passer de l’expérience sensible à l’élévation spirituelle et esthétique, du contingent au transcendant, du plomb de la matière informe ou de l’émotion brute, à l’or du poème. Sur cette genèse à laquelle les poètes sont en permanence confrontés, invités à jongler sur notre vertige, le texte, en page 14, est très éclairant. Il débute par ces trois mots : C’est le soir, comme trois coups frappés à la porte du Temple intérieur où l’on quête une autre lumière pour finir, peut être, par ne trouver qu’un mur qui tombe en poussière, cette chose insaisissable, sans cesse à reconstruire, que l’on nomme: ‘poème’ et qui ne serait simplement que la face éternelle à nos yeux de cendre… C’est à ce poids de terre, d’ombre, de vent, de silence, d’absence, d’échos, que s’évalue l’authenticité fragile du poème dont le créateur demeure un humble ‘écolier’ remettant sans cesse sur le métier l’œuvre de cette longue patience et de ses expériences orphiques. Font suite, avec ce même bonheur d’écriture, les trois autres parties : « d’un soleil éloigné – comme un corps se déplie – au dispersé du vent » qui prolongent finement, et dans un style que ne renierait pas Philippe Jaccottet, ce questionnement poétique mis en lumière par un langage où symboles et images sont intimement et adroitement fondus.

Paul Farellier nous offre ici une bien belle suite de pièces. Sur la pointe des mots, sans bruit, se nouent et se dénouent de subtiles analogies qui nous donnent à connaître dans un flagellé d’instants les noces de la vie et des mots. Sur ses rives finir le poème, bref froissement du temps, devient aussi arbre d’espérance, éternel recommencement, entre la ténèbre et la lumière, au rythme d’une céleste gravitation et de l’accomplissement de cette circonférence en perpétuel mouvement, en somme conclut le poète, tout aussi : ronde parole que la terre

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005)