Le Mangeur de lune, Jean-Pierre Lesieur, éd. Lac et Lande/Comme en poésie.

Avec pour sous-titre « Dérisoire journal d’un petit poète », cet ouvrage débute à la naissance de l’auteur, le 2 octobre 1935, et se termine curieusement en 1991, alors que depuis cette date (et encore aujourd’hui), Jean-Pierre Lesieur a multiplié les interventions dans le domaine poétique et mené à bien l’aventure de sa revue trimestrielle Comme en poésie (près de 30 numéros parus).

Le Mangeur de lune retrace donc, par le biais de poèmes et de notes de circonstance, plus d’un demi-siècle de l’existence d’un jeune garçon, puis d’un jeune homme que la conjoncture dans laquelle il évoluait ne prédisposait guère à la poésie et qui devint, à force de ténacité et de courage, le personnage que l’on sait. Issu d’un milieu défavorisé, il dut, très tôt, faire face à la misère et à la solitude. Plusieurs textes font référence à ces années difficiles où il se battit pour survivre en tant qu’individu et que créateur. Le tout ponctué par des poèmes directement inspirés de ces temps laborieux. Éternel adolescent malgré les années qui défilent (Le Petit Plus, Mon papa m’a dit), Jean-Pierre Lesieur est demeuré fragile, idéaliste, proche de la sensiblerie et des contes de Noël qu’il crée de toutes pièces en s’efforçant d’y croire, malgré tout.

Égal à lui-même, se réfugiant dans l’humour ou le drame, il mélange habilement la vulgarité du quotidien (« enculeur de mouches », « Pendant ce temps-là / ma femme baisait / avec un pharmacien ») et d’autres images, plus sophistiquées mais proches, dans tous les cas, du petit peuple de Paris qu’il fustige autant qu’il vénère. C’est cet ensemble qui donne à sa poésie une vigueur et une gouaille à l’emporte-pièce, capables de nous émouvoir et parfois de nous désarçonner par une mélancolie « bon enfant » où le paupérisme se taille une belle part et la poésie une tranche de vie.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007