GILLES BAUDRY: NULLE AUTRE LAMPE QUE LA VOIX, Rougerie, 13 €.

Ce livre est un journal et un guide spirituels. Et c’est parce qu’il est un journal qu’il est un guide. Pour celui qui, comme Gilles Baudry, est un contemplatif, chaque instant a à voir avec l’évidence. Et son propos est de la faire partager. Évidence spirituelle qui est aussi une évidence sensible:

« Les étoiles qui sont
les fleurs les plus lucides de la nuit. »

C’est l’oreille spirituelle qui guide: le mot déchiffre et dévoile les résonances de la transcendance dans le sensible:

« Ces chants blessés des oiseaux migrateurs
qui sont la plus belle preuve du ciel ».

Sans cesse, l’esprit obéit à la « germination de la lumière », image de l’infini renaissant et source d’un élan jamais las:

«garde la page inapaisée ».

Humble et fervent, le poète sait reconnaître les délégués de l’infini. Ainsi, la première neige:

« elle est la seule
qui sache et qui se taise ».

Gilles Baudry suscite une géopoétique spirituelle à partir des monts d’Arrée: « on vit ici/… avec l’épine dorsale des monts/ pour ligne de partage/ entre deux mondes ».

Du cœur de la mystique chrétienne, il élève son poème à la contemplation de Marie:

« Son regard de vitrail
s’éclaire du dedans
sa gravité légère l’apparente au ciel ».

Sa foi le place au nombre des pèlerins d’Emmaüs, dans les pas du Christ:

«leur battement dans notre cœur
abolissait le temps ».

©Gilles Lades

JOSETTE SÉGURA : AU BORD DU VISAGE, suivi de L’ENCLOS (N et B /Pleine page éditions), 12 €.

Dans cet ouvrage, qui a reçu le Prix Olympique 2007 (prix annuel de poésie en Aquitaine), Josette Ségura se fraie un chemin de calme certitude vers une spiritualité de plus en plus concrètement appréhendée:

« Je voudrais être dans une parole qui s’appuie sur l’air ».

Elle accueille cette douceur que recèle l’invisible et qui veut nous guérir de « tant de haine », haine elliptiquement et pudiquement tue.

Une telle poésie aspire à un déchiffrement de l’âme à l’âme, à la découverte de ce qui résiste à toute perte:

« Nous écoutons ce qui se voit presque ».

Josette Ségura désigne ce qui est la négation de la poésie: la violence du refus d’aimer, le mutisme comme anti-silence. Elle cherche « la langue dans la langue », mélodie sans mots. Car, dans un autre canton de l’âme, peut se rencontrer « notre être inhabité »:

« Laissez-moi au creux de la pierre
avec mes peupliers sans feuilles
………………………………….
suivre ce fil de paroles tues. »

Après tant de désert, l’être accède à un propos partageable « comme un bouquet de fleurs blanches ».

Dans la deuxième partie : « L’enclos », l’ouvrage de Josette Ségura s’édifie sur un espace épuré: un pays du Sud (« C’est toujours l’été »), le ciel, la montagne, une tombe.

Cette part du monde s’exhausse à l’éternité, efface les barrières de l’esprit et du temps, s’intériorise au point d’être une médiatrice de l’infini:

«Tout fait signe sur le parvis de notre âme, loin de ces jours opaques où nous replongeons dans l’absence. »

©Gilles Lades

GEORGES CATHALO : L’ÉCHAPPÉE, Encres Vives éd. (Collection Encres Blanches), 6,10 €.

Il est dans les poèmes de Georges Cathalo un ton particulier de mélancolie qu’il ne faudrait prendre ni pour du découragement ni pour du désenchantement. Simplement, cet homme, ce poète, sait le poids du monde et ce qu’il oppose à notre simple joie, à notre simple confiance.

Un mot apparaît ici : « L’échappée » : enfin ne plus être rivé à ce qu’il appelait naguère « Les lignes de charge ». Encore faut-il trouver la bonne voie, pour ne pas

« se fuir/ et se perdre en soi-même ».

Encore faut-il savoir « démêler l’écheveau des attentes ».

Et trouver la bonne patience, ne pas céder (comme avant?) à la fascination pour les aspects les plus mécaniques de l’existence, pour les figures de l’absence et de la mort. Ne pas aggraver non plus l’incertitude sur la validité des liens qui nous relient aux autres.

L’on devine les figures solaires mais ombrées de ténèbres de Jean Malrieu et de Georges Herment. Leur vie, leur œuvre, devenues ici une sorte d’allégorie, consonnent avec de tels vers:

« et dans l’hérésie des saisons
naîtra une force nouvelle
qui repoussera ses craintes ».

D’un poème l’autre, apparaissent des jalons contre le néant. Qu’il suffise d’en citer deux: « l’odeur chaude des livres » et

…« Une voix douce et calme
provenant de la pièce voisine
une voix rassurante
disant le bonheur d’être là. »

©Gilles Lades

JEAN-MAX TIXIER: LES SILENCES DU PASSEUR. Le Taillis Pré, 17 €.

La force de cet ouvrage tient dans son intime tension entre des sections à la thématique contrastée, comme « Écriture »/ « Requiem pour un silence »/ « Notes musicales »/ « Le plus prégnant vertige » et l’égalité du ton, grave, qui use d’un verbe sobre, épuré, lapidaire, même.

Le thème de la mort inaugure et clôt le livre. La barque funèbre indique la mission du poète: « Tu traverseras la matière ».

De là se déduisent des tâches, des exigences: vaincre l’absence par le mot, fertiliser le non-être, devenir une empreinte dans les choses, surmonter les fatalités:

« Pourquoi craindre la chute
Si je fais partie du vertige? »

Une fois écartée la furtive tentation du néant:

« Noyer la vie tremblante sur les berges »,

il s’agit de favoriser l’inspiration (« la soudaine ivresse »), d’exprimer la clarté:

« Ce sera ton honneur
d’être la transparence »,

de vivre avec ferveur un amour qui se déclare « dernier »:

«Mon amour conjuré
demeure ma demeure »,

d’aboutir, enfin, « à la conversion du néant ».

Les derniers poèmes, métaphysiques, intériorisent une idée de la mort:

«Après le dernier seuil naîtront le vide et le néant. »

Sans se défaire, stoïque, le poète lit dans l’eau et la roche la part amenuisée de la lumière, sauf que

« L’énigme d’une pensée future traverse la mémoire ».

©Gilles Lades

GUY RIOLLE : LISIÈRES, Sac à mots éditeur, 12 €.

« Lisières » est une sorte de traité spirituel où Guy Riolle nous enseigne comment affûter le regard jusqu’au moment où il rejoint l’intériorité, comment aiguiser l’ouie jusqu’au mystère.

Cette sensibilité à la vie secrète sublime les perceptions vitales:

« Le sang en moi
m’est une lampe
un feu qui tremble
et qui tisonne ».

Le vital est aussi ce « tortillon de vie » qui deviendra un arbre immense. Quant à la plénitude intérieure, elle naît de l’épreuve traversée:

« Absent
jusqu’à la présence parfaite
de l’instant ».

Entre le silence et le bruit du monde et du corps, et par la volonté de rejoindre « l’indicible de vivre », se crée un sens intime de la mélodie.

Guy Riolle sait que l’absolu ne se regarde pas en face. Il a donc appris à en deviner les voies et les manifestations:

« Fissure sans lueur
cette absence m’éclaire ».

Au bout de ce chemin, il trouve le visage du Christ:

« Tu n’en as pas d’autre
que celui de l’Homme supplicié ».

Éprouvant la vie jusqu’à l’usure, celle dont naît le sens, cultivant l’affût d’un jardinier ou d’un météorologue de l’âme, Guy Riolle recherche la fécondité sublime, dont l’emblème est l’alouette:

« Ou bien, dissoute dans l’apothéose du zénith,
survivra-t-elle seulement par l’ombre de son cri, tel le poète ».

©Gilles Lades

PIERRE MAUBÉ, PSAUME DES MOUSSES, Éditions Éclats d’encre, 12 €.

Ce recueil s’ouvre sur des images de détresse, et sur un dialogue insistant de soi à soi (le sous-titre de l’ouvrage est d’ailleurs « tu, sa vie, son œuvre ») :

«tu te bats te débats
dans la nuit qui te noie t’assiège te dissout ».

La soif d’identité est prête à subvertir le vieil homme:

«et tu voudrais vomir cela qui n’est pas toi ».

Elle entraîne un examen fasciné du corps, de toute la personne, un désarroi lucide qui oscille de la rage à l’autodérision :

« le rat devrait se chercher une ordure
plus appétissante que toi ».
……………………………
… « tu ne peux vivre
que sous l’écorce de la vie ».

Les vers martelés d’anaphores scandent la hantise et l’horreur d’un échec intime.

Le poète consent au torrent qui l’emporte, à une série d’abandons: abandon de la chose « vautrée au creux du monde / les quatre fers en l’air », de la parole qui « ne fait pas trois pas hors de ta bouche / qu’elle succombe », de soi, même: « ton dernier râle fait écho/ à ton premier vagissement ». Et pourtant:

« l’enfant que tu étais est un rire d’eau tendre».

Mais la litanie des échecs souligne le désir d’une vie fondée:

« tu voudrais
dessiner sur le mur la forme d’une destinée. »

©Gilles Lades

JACQUELINE SAINT-JEAN : LUMIÈRE DE NEIGE, Sac à mots éditeur, 12 €.

En trois sections (Soleil blanc, Chronique des pierres, Lumière de neige), Jacqueline Saint-Jean suscite, accompagne, redouble l’instinct découvreur de l’imaginaire qui opère à la façon des vagues de la mer, exhumant chaque fois un fruit nouveau.

Cette traque de poésie s’effectue dans un état d’hypnose et de lucidité, équilibre où la lumière, la marche, la distance scrutent « la trame habitable ».

L’écriture, qui joue du blanc et du décalage des vers, figure concrètement l’ajustement à la voix.

Le « songe », prégnant, est cette brusque mutation du regard qui convertit la perception pour ouvrir l’être à l’expérience poétique:

«Corps séparé cassures
Brèches brèches sans fin »,

et permet de fixer l’insaisissable:

« Coup de vent la vie
Cette fuite d’ombres
Au long glacier bleu
Balayé par le temps ».

Ces poèmes peuvent être mis en perspective selon une triple modalité: l’ascèse du souffle, un imaginaire ajouré, une mise en résonance.

D’autre part, si, tout au long de ces textes, la « lumière » de la vie intérieure apprivoise la minéralité, l’écriture la plus consciente cerne de ses traits les ardentes intuitions de Jacqueline Saint-Jean:

« Feu de neige éclair
Où les mots s’effacent ».

©Gilles Lades

Jean-Claude DORCHIES, INVENTAIRE DES TERRITOIRES, Éditions du Riffle, 3, allée Maurice Ravel, 59510 HEM. 12 €.

Ce recueil, ce livre, même (200 pages), se présente comme la chronique d’un itinéraire. Chaque poème sonde, évalue, la substance des lieux, des êtres, des circonstances, des rencontres, réunissant des horizons contrastés: l’Amérique, le Harrar, la Flandre natale, le Quercy.

Mais c’est le corps de la femme qui donne son sens et son rythme à cet ouvrage. Femme comme métaphore immédiate ou implicite, grâce à qui la sensualité s’élargit à la pensée, à l’art, aux civilisations disparues. Qu’elle soit évoquée dans sa force de vie:

«À la surface/ d’un corps lisse comme le Ténéré/ elle fait courir ses seins/ comme galopent les gazelles »,

ou suggérée dans cette blancheur lumineuse qui

«transmet aux femmes la grâce du paradis perdu »,

elle aimante les lignes de perspective du poème.

Car c’est elle qui, dans toute l’eurythmie de ses puissances, conjure la mémoire des guerres, répare en quelque sorte les généalogies et les familles ankylosées de conformisme.

C’est elle aussi qu’on devine à l’arrière-plan d’un bonheur franc:

«la maison bruissait des mots bleus des enfants jusqu’à produire un grand ciel outremer».

Jean-Claude Dorchies éclaire l’intrication des destinées, de leurs passions et de l’Histoire. Sur le fond de cette fresque, la terre d’âpreté du Causse, découverte dans sa minéralité, mais aussi à travers ses hommes et ses femmes, s’impose comme un appel de racines, un lieu à déchiffrer:

« les chemins, depuis longtemps, ont éclaté
dans l’effondrement des dolines pourpres ».

Si, dans cet ouvrage, le poète sculpte sa vie en s’éprouvant au monde de la femme, il s’efforce, poème après poème, de conjurer la désolation qui hante notre siècle, de Verdun à Manhattan. C’est donc contre ces gouffres-là qu’il rassemble ses forces de vie, se tournant de plus en plus vers

« l’archaïque, le patiné, l’insondable. »

©Gilles Lades

CHRISTIAN BULTING, VIEUX BLUESMEN, Gros Textes, 8 €.

La métaphore musicale du titre est une première entrée: le poète veut capter « cette modulation de l’existence dans le son ».

D’une manière plus radicale, comme biologique, l’on perçoit une rhétorique pulsatile, un allant, une allégresse qui se reconnaissent parents de Rabelais, mais aussi de Chaissac et de Dubuffet, frères de création et de poésie, modernes Arcimboldos.

Chaque poème, long d’une page sans césure, se déroule comme une auto-analyse accélérée, inspirée tantôt par l’humour et la tendresse, tantôt par l’autodérision, voire par une âpre amertume.

Souvent, de claires affirmations résonnent:

« L’amour pour seule morale j’ignore les autres
Celles de la peur de la convenance du déni
De soi de ce qui en soi vit vibre vibrionne ».

Les mots se pressent, qu’ils soient la sténographie des actions d’une journée, qu’ils entraînent dans leur sillage le monde et « nos existences vécues inventées écrites publiées », qu’ils captent l’engendrement du son et de l’image.

Le poète devient « une plaque sensible en éveil », se livre à la truculence, multiplie les arborescences de la phrase qui s’ouvrent un espace d’action et de découverte.

Le blues est la voix née du drame de vivre et qui veut aussitôt se transcrire sur le

«noir vinyle vierge de toute poussière ».

La pâte de ces poèmes est d’abord humaine: célébration de la femme, adresse aux « frères lumineux/ de mon île au centre du monde du septième ciel/ de l’amour », hommage au père d’une seule traite d’émotion. La vie court de l’enfance à l’au-delà dans une sorte d’effusion métaphysique.

Cette écriture est le chant, vital et triste, collectif et intime, par lequel l’existence se compare à ce qu’elle fut, déplore et célèbre, heureuse de pouvoir dégager, au bout du creusement, un noyau d’amour:

« la géante rouge qui roule dans le temps
lointain à nos yeux d’habitants de ce vaisseau
bleu où il fait bon vivre par une belle journée
avec au cœur l’ardeur de cette alliance ».

©Gilles Lades

CHANTAL DANJOU: POÈTES, CHENILLES, LES CHÊNES SONT RONGÉS, éd. Tipaza, collection Métive, p.n.i.

Cet ouvrage est édité sous la forme de trois volets et de vingt-quatre pages parmi lesquelles figurent cinq reproductions de peintures de Françoise Rohmer. Cette peinture, mobile et structurée, où les verts, les jaunes, les bleus, scandés d’un rouge vif, manifestent une vie ardente et jamais en repos, s’harmonise avec l’idée d’un arrière-pays méditerranéen.

La suite des poèmes, en prose, peut se lire comme le récit de la découverte d’un chêne vert, une yeuse, qui devient à son tour un plan fixe suscitant images et intuitions.

En effet, l’arbre est d’emblée le thème de métamorphoses: fleurs, plumage de paon. L’idée de l’ocelle suggère l’entrée possible dans une plus essentielle perception. Cependant, le regard ne crée là que mirages. Il faut renoncer à ces illusions pour atteindre à travers l’arbre, « l’organe rouge », vie réelle d’où procède le « conte » authentique.

L’envers de l’illumination factice est un processus cruel qui pourrait être sans fin: « les petites chenilles de l’étoilée rongent l’un et l’autre », à savoir l’arbre et le poème. Le paysage, à l’arrière-plan, prolonge ce passage du merveilleux à la chose nue.

L’art, toutefois, revient en filigrane: l’idée d’estampe, celle du temple grec aussi, plus essentiellement, lorsque la clarté se double de fuseaux d’obscurité. Chantal Danjou, parmi ces collines et face à elles, hésite entre la transfiguration artistique et l’accueil de l’irruption métaphysique: «La mort pourrait être ce grand fuseau bleu écartant les branches ».

©Gilles Lades