Jacques TAURAND : Au pays de l’inconsolé, Lettres à Gérard de Nerval (2007, L’Harmattan – 5/7, rue de l’Ecole Polytechnique – 75005 Paris, 11 €)

Jacques Taurand a tôt reconnu l’auteur d’Aurélia, comme un maître, comme un frère, dès sa première lecture nervalienne, durant l’adolescence : « La rupture avec la réalité se produisit sur le champ et mon esprit s’envola, se mêlant à votre souffle pour se fondre avec cet autre réel dont les images imposaient la soudaine évidence ». Rappelons que J. Taurand a déjà évoqué l’inconsolé, au sein de sa nouvelle, Un été à l’Isle-Adam (rééditée aux éditions de Saint-Mont, en 2005). « Ne m’attends pas ce soir car la nuit sera noire et blanche. » Nerval laissa ce simple mot à sa tante le soir de son suicide, le 26 janvier 1855. Il avait quarante-six ans. Ce Nerval, Taurand l’aime infiniment et jusqu’au fin fond de ses déboires, de sa détresse, de ses voyages intérieurs, de sa mélancolie, de sa folie, de son génie : « Votre feu intérieur devenait ainsi votre enfer dont les flammes, en vous purifiant, vous détruisaient. » Taurand aurait pu s’attaquer à une biographie, à un essai. Il n’en est rien. Il a choisi une voie plus intime, davantage en adéquation avec la relation qu’il entretient, tant avec l’homme qu’avec l’œuvre, la forme épistolaire : « Séparons-nous à l’angle d’une rue de votre choix et disons-nous à plus tard pour un autre vagabondage dans vos chimères ». Si tout a peut-être été dit sur Nerval, personne, sauf J. Taurand, n’avait osé l’aborder sous cette forme, par ce biais, c’est-à-dire de poète à poète et de l’intérieur : « Non, ce travail est autre, il est celui qui s’opérait au plus obscur de votre être, dans le silence en fusion de votre conscience, dans ces zones où descendaient vos terminaisons les plus sensibles ». Taurand nous captive et parvient en effet tout au long de ce vagabondage poétique en seize lettres, à donner un éclairage neuf et inédit sur Gérard : le sien, emprunt de respect, certes, mais dénué de complaisance : « Cher inconsolé, pauvre et riche Orphée, soyez en paix dans la nuit de votre tombeau, l’humanité a gagné de votre lumière. »

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Hervé DELABARRE : Le Lynx aux lèvres bleues, illustrations de l’auteur, préface de Jean-Pierre Guillon, (2007, éditions surréalistes, 122, rue des Couronnes, 75020 Paris, 12 €).

Le Lynx aux lèvres bleues est une œuvre fascinante, dont le titre, l’écriture et l’histoire, relèvent du hasard objectif. Les aventures du Lynx ont été écrites à Los Boliches (un petit village d’Andalousie), en août 1963, alors qu’Hervé Delabarre se trouvait en vacances avec Régine Laurent, Annie Le Brun et Jean-Pierre Guillon, qui relate : « C’était le plus souvent le soir que le lynx faisait son apparition. Hervé prenait alors un de ses petits cahiers d’écolier, frappés en couverture d’un énigmatique félin, pour raconter à sa façon les aventures, les rencontres ou les avatars d’un lynx qu’il avait doté de lèvres bleues… Tant d’invention à partir du premier mot qu’il s’était donné, tant de surprise dans le déroulement des phrases, cette façon purement ludique d’en user avec le langage me sidéraient et m’enchantaient au plus haut point. On aurait dit l’esprit de la langue, le vocabulaire, le goût de la narration ramenés à leur fonction poétique initiale, sans remords ni repentir, malgré les embûches du chemin. Il faut noter d’ailleurs que ces deux cahiers livrés aux flots de l’automatisme furent pratiquement bouclés sans ratures. » De retour en France, Hervé Delabarre et son petit groupe gagnent le Lot et Saint-Cirq-La-Popie, afin d’y retrouver André Breton. Subjugué par le Lynx, comme il le fut par le « Poème à Louise Lagrange » (cf. Les HSE, n° 17/18 et Danger en rive, éd. Librairie-Galerie Racine), Breton décide aussitôt d’en publier un large extrait dans la revue La Brèche ; ce qui sera effectif dans le numéro 7, de décembre 1964. Puis, le manuscrit, constitué par deux cahiers, se perd. Il faudra attendre octobre 2004 pour que Jean-Pierre Guillon le retrouve. C’est d’ailleurs ce dernier qui, témoin attentif de cette aventure, signe la préface de la présente édition, rappelant, à juste titre, que le langage du Lynx est dénué de toute utilité pratique, du moindre effet sentimental. Les phrases, les mots eux-mêmes s’y enchaînent dans un respect tout apparent de la syntaxe et des procédés narratifs traditionnels, mais c’est pour mieux les subvertir de l’intérieur. Le Lynx est très certainement l’une des œuvres les plus puissantes qui aient été produites par le biais de l’écriture automatique, qui vise, rappelons-le, à atteindre les états seconds de l’esprit, en laissant de côté les visées logiques, esthétiques ou morales qui enferment et compriment l’individu : La lune sur les yeux, un cormoran aux lèvres, je quittai les lieux, salué par une haie de moignons enduits de sucre, auxquels je ne prêtai guère d’attention, d’autant qu’un émissaire du Vatican s’était dissimulé parmi eux. Avais-je rencontré la mer ? Sur l’hippocampe en feu, à forme de comète, ma main demeurait, en visière, toujours prête.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Serge BRINDEAU : Un poème vient au monde, Postface de José Millas-Martin, (2007, éd. Librairie-Galerie Racine, 23, rue Racine – 75006 Paris, 15€)

Serge nous a quittés il y a onze ans, le 27 avril 1997, à trois jours de son soixante-douzième anniversaire. Un poème vient au monde, est donc un recueil posthume qui rassemble un choix de poèmes inédits, écrits entre 1947 et 1997. Rappelons que Serge Brindeau (Porteur de Feu dans les HSE n°19, avril 2005) est né le 30 avril 1925, au Mans (ville qui, le samedi 8 décembre 2007, a donné son nom à une rue – ce qui fut le cas aussi pour trois autres poètes manceaux : Dagadès, Moreau du Mans, Joël Sadeler). Serge a partagé sa vie entre l’enseignement de la philosophie (au lycée du Raincy) et la poésie ; il a collaboré à de nombreuses revues, dont la première série des Hommes sans épaules (qui édita sa plaquette Mentions marginales, en 1954), mais aussi , et bien sûr, Le Pont de l’Épée. Poète et critique de premier plan, mais aussi conférencier, Serge voulait « vivre avec les hommes de son temps », se reconnaître en « un regard qui passe. Marcher dans les couloirs. Monter, descendre. Poursuivre dans la rue ses chemins d’encre, d’eau noircie. » C’est ce qui explique notamment son amitié et son combat pour la Poésie pour vivre, aux côtés de Jean Breton, avec qui, en 1964, il écrivit la fameux Manifeste de l’homme ordinaire. Dès 1969, il fait partie du comité de rédaction de la revue Poésie 1. En 1973, aux éditions Saint-Germain-des-Prés, paraît La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945, un panorama de mille pages, devenu depuis une référence incontournable sur le sujet. Sa création poétique ? Un jeu d’amour avec les mots pour être soi en dépit des conflits : « Nous ne pouvons dire ce qu’est la poésie, ni ce qu’elle fut, encore bien moins ce qu’elle sera. Mais vivre en poésie, nous le pouvons. Je le crois. » Lire Un poème vient au monde ne revient pas à lire les « fonds de tiroir » du poète, mais l’un de ses plus beaux recueils, au lyrisme épuré et lapidaire : Depuis qu’on a blanchi les murs – La solitude écarte ses rideaux.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Pierre DHAINAUT : Levées d’empreinte (Arfuyen), 90 pages – 12 €

Depuis lecture de Bulletin d’enneigement (Sud – 1974) et notre commune admiration pour Raymond Roussel, j’ai suivi, avec l’intérêt que l’on imagine, la publication de ses multiples ouvrages durant plus de 30 ans. L’œuvre de Pierre Dhainaut, fluide, étale, limpide, égale à elle-même et toujours différente, s’inscrit dans une préhension immédiate de la réalité, mais une réalité exacerbée où les mots, choisis, désignés, cernés, désirés, expriment la douleur sans jamais la célébrer. La dramaturgie qui se fait jour dans les divers recueils publiés n’est perceptible qu’au travers d’images la plupart du temps paisibles et situées dans un contexte de vastitude éclairée où le Nord occupe une place de choix.

Il faudrait parler d’élégance pour situer la poésie de Pierre Dhainaut. D’élégance et de lenteur. Il existe quelque chose de définitif, d’apaisé, d’essentiel dans les vers qu’il nous offre, et c’est chaque fois la ligne d’horizon qui limite les actes des individus. Mais il nous laisse surtout deviner le voyage au-delà du regard.

« Terre sèche, terre blanche, le ciel dévore ses oiseaux / en haut du promontoire : les mains en se crispant / ne font qu’ériger des murs insatiables. / Aucune aide autre part. Au raz de l’herbe / tous les jours, à toute heure, la tempête est chez elle… ».

Levées d’empreintes appartient à ce que Pierre Dhainaut a de plus précieux : le dialogue avec l’Autre, cet Autre qui tente de réconcilier les ennemis, d’allonger la plage, la page, de dénoncer l’intolérance.

L’œuvre de Pierre Dhainaut s’articule autour d’un vaste réseau où le poème s’inscrit en lettres de feu et où, « d’une syllabe inattendue », il sculpte le charme de la vie, le sauvage du temps jusqu’à l’apprivoisement des rives et des mots.

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Paul SANDA : Pour la chair de l’île, Gravures et encres de J.G. Gwezenneg (Océanes) 50 pages – 10 €

La préface de Jacques Abeille ne laisse aucun doute sur la nature de ce récent ouvrage de Paul Sanda dont le Surréalisme est la porte de sortie en même temps que l’outil créateur qui sape la candeur afin de révéler l’espace. Si, pour lui, « la nuit / est à table », c’est pour mieux gérer les continents de la mémoire où courent les lèvres les plus riches en salive ouatée.

Surréalisme pas mort à bord de ce vaisseau coulissant entre arpège et midi, concassé par les plages d’une nativité précoce où l’île d’Oléron recompte ses étés, où la poésie déroute ses voiliers et taxe la syntaxe d’un peu de courbe et de parfum.

Le rêve est citoyen et cousin germain de Jacques Kober ou de Guy Ducornet qui œuvrent quelque part entre escale et grand vent.
On se risque à fêter quelque orgueilleux présage, on oublie de changer la couleur des étés. Et si Paul Sanda dérive jusqu’à la chair de l’île, c’est pour mieux gambader au solstice venu.

Le jeu subtil du poète s’articule au plus urgent des comparaisons qu’il secoue d’un geste large et qu’il détaille avec lenteur afin de sublimer les ondes du plaisir.

« c’est la fin du voyage l’accordéon frôle le signe lumineux des grimoires de ma peau si rugueuse si flasque des varechs »

On ne doutera pas que j’ai aimé ces pages sauvages, rebelles, où l’imaginaire fait un pied de nez aux oiseaux de passage.

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean-Claude TARDIF : Pierre Taillande l’homme aux papillons (« Pour une fontaine de feu » /Rafael de Surtis) 50 pages – 14 €.

Après une douzaine de recueils publiés, Jean-Claude Tardif, délaissant pour un temps la poésie, se consacre à la rédaction de petits romans, de nouvelles, de récits qui lui permirent de nous offrir successivement : Louve peut-être (La Dragonne), II existe aussi des histoires d’amour (Éditinter), Prorata temporis (Le Mort qui Trompe). Avec Pierre Taillande l’homme aux papillons, longue nouvelle de 40 pages, il nous fait pénétrer dans l’univers étrange et pathétique d’un marginal de la société, capable tout autant de nous bouleverser que de nous divertir. Ce qui frappe dès l’abord chez Jean-Claude Tardif, c’est un style d’une belle sobriété au service de l’histoire, dans un premier temps banale, d’un personnage assez falot, dont l’existence étriquée s’organise autour de petites habitudes. Alentour gravitent des individus assez ternes, gens du quotidien, hommes et femmes du commun. Le développement de l’intrigue fait incursion dans un humour passablement macabre (ristourne sur le prix des cercueils) avant de s’achever sur des pages où la dramaturgie recourt à des images suggestives sans jamais verser dans l’épouvante. On se gardera de révéler la fin de cette histoire à la fois simple et complexe où le cauchemar s’établit comme la normalité d’une situation donnée. Ce qui importe ici est le détachement avec lequel Jean-Claude Tardif s’empare de la situation et la manipule de telle sorte que le récit s’en trouve allégé. Réalité ? Fiction ? Qu’importe ! L’essentiel est que nous soit révélé un narrateur de haute volée qui s’inscrit d’ores et déjà parmi les écrivains de demain.

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean-Pierre LASSALLE : Les petites Seymour (« Encres blanches » / Encres Vives)

Après lecture de ce nouvel ouvrage de Jean-Pierre Lassalle, on s’interroge sur le qualificatif à employer à son propos tant les textes déconcertent par leur originalité féconde. Bien sûr on pense au Surréalisme, mais tout autant à l’humour.

« Dans les brouillards de Londres
Je cherche un gant le gant fringant
d’un intrigant
Je cherche un gant tout blanc
d’Hingant de la Tiemblais
Au cœur des blés dans les remblais
Le gant d’Hingant de la Tiemblais.
»

La poésie de Jean-Pierre Lassalle est le royaume du jeu de mot, le royaume de l’absurde qui se révèle à l’analyse plus logique qu’il y paraît au prime abord. Des mots assemblés, des mots détournés, des mots décortiqués agitent le propos intense du poème, et c’est un festival d’inventions, d’étranges rapprochements entre les thèmes soudainement pris au piège de la syntaxe.

La quatrième de couverture évoque une « errance dans le temps », mais il existe aussi une « errance dans les mots ».

« Laissant une invisible mue / séchée sur les calcites qu’un simple papillon bleu des Causses / renverra au néant d’un soupir d’aile. »

Jean-Pierre Lassalle, avec Les petites Seymour (dont la couverture est signée Silvaine Arabo) donne à l’imaginaire l’occasion de se manifester une nouvelle fois dans le sillage d’un Surréalisme inspiré.

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Béatrice LIBERT: ÊTRE AU MONDE. Éditions de la Différence, 14 euros.

Être au monde rassemble cinq recueils, publiés de 1996 à 2000. L’ordre adopté dans ce livre, pour ne pas être chronologique, n’en fait que mieux surgir le sens latent.

Dans Prière pour le millénaire, Béatrice Libert pousse à bout la volonté de se délivrer des « antiques verrous ». Elle y célèbre la joie, celle qui est une initiation à la vraie naissance. Les poèmes de Contre la nuit traduisent une vivacité spirituelle irrépressible. La sève du poème réconcilie l’âpreté de l’instinct de vie et le sens aérien de la liberté :

« soif ô soif
en ton aride éternité emporte-moi
».

Au long de L’obscur boit l’obscur, le poème s’égale à une sérénité méditative, aux résonances du lieu de la vie :

« le silence à soi seul est maison ».

La coïncidence avec soi s’enrichit de la volupté des harmoniques. Parfois, même, la dépossession aboutit à l’effusion cosmique :

« celle qui respire est la mer ».

Au feu recréateur des poèmes de L’heure blanche, la célébration multiplie ses angles, intensifie ses ancrages sensibles, au point de faire de celle qui écrit « une grande carnassière de l’immédiat ».

Dans Deux enfances, enfin, l’évocation de l’amour maternel lui permet de mêler la félicité du sentiment océanique au « vertige de nos existences mêlées ».

Dans la poésie de Béatrice Libert, la parole court, comme l’air et l’eau, comme le sang, comme une foulée légère. Jubilation d’autant plus précieuse qu’elle connaît l’envers de la joie. De poème en poème se crée une demeure immatérielle, « comme un berceau parfait jusqu’à la tombe ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 89, hiver 2004-2005.

Josette SÉGURA : LE PAS DE L’ANGE. Voix d’encre éd.

Cet ouvrage se déroule, se déploie, comme une saison de l’âme, avec peu d’objets, mais au loin la montagne, l’argile, l’acacia, le ruisseau ; suffisamment de poids pour se savoir être, et de formes pleines pour mesurer son vide.

L’épreuve, qui inflige un tourment insaisissable, oscille de l’absence (« le désert sans ses pas », « être de terre sans ciel ») à l’opacité (« la saison nous roulait dans ses jours pleins de nuit »).

Et l’on s’habitue à la déception, aux minces lumières qui nous sont retirées.

Mais, au hasard de la neige, « le pas de l’ange » est le premier indice. Puis « quelques mots dans le silence des jours » suivis de « la terre rouge », des « chênes verts », cette fois réellement vus, substantiellement traversés par le regard, inaugurent une purification qui est aussi un allègement.

Et l’on franchit « ce silence singulier qui est un seuil », cette interface entre ombre et lumière, silence et parole.

Jusqu’au moment où la contemplation paraît presque plus désirable que les mots, où l’émotion est si ténue, si verticale, que la vie s’éternise, à la manière de

« ce dimanche impérissable »,

ou de « quelques nuages légers comme des pensées ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 83, été 2003.

Joseph ROUFFANCHE : EN LAISSE D’INFINI. Éd. Rougerie.

C’est un autre Joseph Rouffanche que nous dévoile En laisse dinfini. Auparavant, la force voulait assumer tout l’homme ; la jubilation parvenait à juguler la nostalgie. Ici, l’ouvrier du vers fait place au pèlerin de soi-même : recueillir, examiner, célébrer, mais célébrer sans faste, avec de la piété pour la chose naguère rencontrée, qui a fait demeure dans l’esprit, et signifie définitivement :

« La rivière était basse et saintement coulait ».

Beaucoup de poèmes, d’étendue modique, prennent le parti d’une humble récolte, mais sur le fil du plus précieux :

« Bruits de passereaux
les fontaines
».

Recueillir le sel des jours ne va pourtant pas de soi. Un doute brutal assaille le poète :

« Que va-t-il devenir dessaisi de mémoire ? »
……….
« Interdit pour jamais l’accostage d’Éden. »

Et même : « C’est devenu ce rien ». Pourtant le regard se relève vers « le cher gris à jour de nos ciels ». Chemin faisant, les choses, d’instinct, rejoignent leur double infini ; telle plainte précise d’oiseau devient la voix intérieure. La vie, parcourue du côté du silence, devient un hymne spirituel à l’invisible:

« Dans un pré sans personne
rejoindre la tendresse
en habit de merveille
».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 73, hiver 2000-2001.