Max ALHAU ou Les Richesses du démuni, par Paul Farellier

Il y a une sagesse de poète dont Max Alhau donne le plus pur exemple : sagesse gagnée à vivre sans jamais exalter ce vivre, mais au prix d’une douleur qui fait le fond de l’existence ; et, de ce fait, sagesse non sereine : souffrir donne bien à connaître, mais reste à souffrir. C’est une « passion », au sens fort du terme, que Max Alhau, dans son livre Le Fleuve détourné, a qualifiée d’exil jamais consenti, signifiant clairement par là qu’il y oppose une réelle insoumission, même s’il reconnaît que seuls le blanc, la brièveté du souffle, de la vie offrent au monde sa légitimité.

Nous avons là un poète de la condition humaine et donc une poésie orientée toute sur la destinée mortelle du cheminement. Celui-ci se déroule au jour le jour : l’espoir est dans le quotidien, puis de même le doute. À chaque pas, les repères menacent de se perdre, et la vie se passe dans l’expropriation :

Cet exode aux allures de conquête
nous ramène en plein soleil,
brûlés par un temps
qui se défait
et nous déboute de nos domaines.
[[Nulle autre saison, L’Arbre à paroles, 2002.]]

C’est bien pourquoi le poète, dans son espace d’évidence pure, nous fait découvrir que même un dénuement nous illustre :

Quand on a tout perdu, […] on commence à soupeser sa richesse. Une étoile se love dans nos mains […].[[Le Fleuve détourné, L’Arbre à paroles, 1995.]]

Aussi, dans l’inventaire de ces imprescriptibles trésors, une extrême attention va-t-elle se vouer à ce qu’il y a de plus ténu : à la marge, aux parenthèses, où s’inscrit l’essentiel, ou encore à ce que l’on glane, les mains serties d’épines[[Ibidem.]]… Tout cela parce que l’on n’attend nulle autre saison et qu’il faut cantonner tout désir à la terre, décliner toute promesse de « siècle futur » :

Tout est là
dans la sécheresse des mots,
celle des herbes.
[[Nulle autre saison, op. cit.]]

Même la célébration de la lumière[[in Le Fleuve détourné, op. cit.]] – quelques lignes d’un parcours cosmique au bout duquel les rêveurs de lumière auront vaincu l’absence pour l’éternité – ne veut en définitive atteindre que des confins d’immanence. Dans les ouvrages les plus récents, tel Du bleu dans la mémoire[[Du bleu dans la mémoire, Voix d’encre, 2010, livre dont sont extraites toutes les citations qui suivent.]] , le cheminement spirituel prend une nouvelle ampleur avec un surcroît d’élévation ; la lente approche du poète dans la dimension métaphysique le conduit vers ce point où pourraient se prendre des « paris » décisifs, mais ce Pays, comme il le nomme, demeure celui de l’hésitation et du tâtonnement, lieu d’interrogation continuelle d’un sens, de poursuite d’une vérité fuyante : là se fait le questionnement de l’éternité et de l’absence, deux pôles qui n’ont cessé de l’attirer ; là, l’existence elle-même confine à la simple hypothèse : Si tu existes, c’est au cœur/ d’un vent léger, comme toi, invisible. Et l’on comprend que l’asile recherché, c’est d’abord l’instant et le lieu où se puisse déporter le malheur. Mais si, dans cette recherche, le poète se confie à la mémoire (le ciel met du bleu dans la mémoire), voilà qu’il la découvre impuissante à nous restituer à nous-mêmes – les signes, les visages, les lieux sont passés de l’autre côté du souvenir –, impuissante à nous faire présents à nous-mêmes :

Tu t’arrêtes, il te reste le ciel
et plus rien pour justifier ta présence.

Les signes se multiplient d’un mal-être que Max Alhau sait assumer, en le sublimant sans l’idéaliser. La pensée quasi mystique d’un point désiré où les contraires se confondent jusqu’à s’unir (cette alliance des contraires/ qui est pour nous/ passage entre deux mondes/ et rien d’autre pour le regard) n’aboutit nullement en perspective de salut (On ne peut rien sauver:/ les oiseaux et les mots/ ou même cet instant/ captif entre les paumes/ et déjà aboli). Le terme du voyage humain, terme proche et lointain, est celui de l’absence ; c’est là qu’il faudra poursuivre cette maraude dans un temps/ délivré de tout avenir. Pour le poète, l’autre rive renoue ainsi avec nos origines ou la naissance même. C’est pourquoi rien ne commence, rien ne s’achève et tout a lieu dans « l’éternité » d’une immanente simultanéité :

Je reste au bord du vide,
le corps chancelant
pour ne pas dire « adieu »,
pour ne pas dire « ensuite »
mais comprendre que « maintenant »
a l’éclat de la foudre.

©Paul Farellier

Étude pour la revue Les Hommes sans Épaules, n° 33, 1er semestre 2012.