Olivier DESCHIZEAUX : Le soldat mort (éditions Rougerie, 2008 ; 64 pages, 11 €)

Par le biais de courts poèmes en prose, Olivier Deschizeaux nous confie les interrogations et les doutes d’un soldat, mort pour une cause dont il soupçonne à peine tenants et aboutissants, un pauvre bougre d’homme qui se décharne et se désespère d’être devenu ce cadavre dont les chairs se décomposent, dont les sucs intimes suintent des planches disjointes. C’est la mort et son cortège de processus répugnants où la peau se désolidarise des chairs, où seule une philosophie subsiste après que la chimie a joué son rôle. Le soldat mort retrace une injustice (pour quelle raison mourir à vingt ans ?) qu’Olivier Deschizeaux dénonce avec véhémence en des textes d’une rare intensité. Vides artères du sable, tentacules jetés aux sorts ineffables de l’angoisse, terne congrès et tendre palissade, j’étouffe le nom de mes prétentions moribondes, la terre, le monde se sont tournés vers la folie du vent. Le soldat mort, c’est un peu de l’enfance qui disparaît avec le jeune homme tombant sous les rafales, Le soldat mort, c’est l’horreur de l’existence confisquée à l’âge où l’on songe à l’amour, aux plaisirs de tous ordres. La guerre insinue ses ailes sous le manteau brisé du printemps, les aigles s’abreuvent aux nuages, à grands pas s’approchent les secousses de l’autel qui ouvrira son sang au mien. Un livre éprouvant et beau.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Olivier DESCHIZEAUX : La chambre close (Rougerie), 11 €, Prix Louis Guillaume du poème en prose, 2004.

« Tu connais la géographie de mes ombres, la chapelle de mes fantômes, ton chant se pose sur le vent comme une herbe habillée de rouille, tes morts sont les miennes, au creux de mon lit je fais un nid de ton bois… ».

Dès l’abord, La Chambre close s’affirme comme l’une des œuvres les plus originales de ces derniers temps et le style d’Olivier Deschizeaux (poète que je découvre ici) porte en lui cette grâce insolite que nous révélèrent certains surréalistes avec, en plus, une dramaturgie très personnelle dans laquelle le langage s’allie une syntaxe giboyeuse où les mots voyagent, revêtent des robes aussi bizarres que somptueuses.

« Debout devant la mer je peins les angles de ma chambre, des châteaux m’attendent quelque part en juillet, mais l’été me sera froid et terreux… ».

J’aime cette incursion dans l’absurde, cette réflexion sur la destinée de l’image poétique qui prend son envol en chaque vers. C’est dire que nous sommes ici très éloignés des bluettes ordinaires et des mièvreries dont la vocation est d’habiller les objets où les sentiments de petits gestes colorés. Il y a création chez Olivier Deschizeaux, et cela suppose l’imaginaire et le fantasque dans l’écrit.

« L’envol des miroirs aux aurores, des bulles de savon salissent le hall du grand hôtel où résident les fougères, s’endormir et s’en aller au cœur des limbes cernés de cris et de rires… ».

On aimerait tout citer de ce livre étrange et palpitant qui bouscule avec un remarquable talent l’habituelle linéarité de notre poésie.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005.