CHRISTIAN SAINT-PAUL: LES PLUS HEUREUSES DES PIERRES, Encres Vives n° 361.

Ce recueil procède d’une voix grave et confidente. Un homme émerge de son passé et s’interpelle avec une lucidité sans amertume. Et sa compagne, compagne de vie, compagne de mémoire, compagne d’attente et de désir, laisse deviner sa présence intime et décisive:

« c’est l’heure où ta main fidèle
apaise l’impérissable peur ».

Le ressaisissement de la vie à la lumière de l’amour célèbre la quintessence des instants heureux sans dissiper les images de notre destinée. « L’arbre tutélaire » du jardin, choyé d’inquiétude, « l’esprit fantasque d’un air populaire » gardé dans un coin de l’attention, ne font pas oublier que

« la nuit douloureuse chuchote
dans la solitude des tombes ».

Ce recueil/poème dédié au couple, hymne et élégie, est traversé par la métaphore passionnelle. Occurrences du feu pour « nos joutes affamées ». Et la certitude gagnée:

« jamais plus notre amour ne sera malhabile ».

La femme, forte de son « estivale présence », sauve le poète de l’aridité rencontrée dans l’écriture:

« ces paroles qui m’attendent
abasourdi de leur tête-à-tête
qui languit quelque temps
dans un ténébreux hiver de la poésie ».

Cette œuvre commune de l’homme et de la femme, Christian Saint-Paul nous la dévoile à travers sa parole rythmée par la ciselure et le profil toujours renouvelés des strophes. Les images sont fortes et franches (« le règne noir/de la blatte », « les ruelles en pente/ du plaisir », « le roc du jour à venir »), et chaque poème campe une nouvelle perspective: « Du chemin nous sommes/ les plus heureuses des pierres », ce chemin qui se redresse avec le pathétique des espérances hasardées.

©Gilles Lades

CHRISTIAN SAINT PAUL : L’ENRÔLEUSE (335ème Encres Vives).

L’image de la femme, poursuivie sur ses pistes fascinantes, saisie en ses parades pathétiques, continue de hanter le parcours poétique de Christian Saint-Paul. « L’Essaimeuse » la présentait naguère, « pétrie de volupté », mais aussi hasardée, téméraire, victime, au terme de l’épreuve sans fin qu’elle y faisait de son désir.

Aujourd’hui, avec « L’Enrôleuse » (Encres Vives n° 335), Christian Saint-Paul accentue l’âpreté de la quête érotique. Si la femme guette

« la promesse d’une flamme plus haute
Qui pourrait monter le long de son échine »,

l’homme rallume sans fin

« la torche incendiaire/ d’une simple caresse ».

Car il s’agit de se vouer à la femme, corps et âme, de la connaître par la « texture langoureuse » de sa chair, pour, désarmé par sa grâce, se laisser terrasser par ses fatalités.

Ce pacte sensuel, dévorant, de l’homme et de la femme, ou plutôt de la Femme et des hommes, conduit à une amertume telle que la quintessence de la félicité se trouve menacée de toutes parts.

Comment les hommes en détresse, « martelés de mythes » par la Femme et déterminés à « tuer le futur », sauveraient-ils du dérisoire la conquête inépuisable de la beauté ?

Comment éviteraient-ils le vertige d’une autodestruction qui va jusqu’à l’âme en faisant jaillir « les escarbilles de leur conscience » ?

Tout est-il faux dans cette « allégresse mouvante et chaude » ? Qui, de l’homme ou de la femme, se trouve finalement vaincu par la lassitude de la beauté ? Et qui possède, encore ici, la clé de cette « parade sauvage » ? (Arthur Rimbaud).

©Gilles Lades

(Note de lecture in revue Friches, n° 95)