Jehan DESPERT : Roscoff, escale pour Tristan Corbière, illustrations de Louis Pors (La Lucarne ovale éditions, 2008 ; 24 pages, 6 €)

Jehan Despert, le poète et Louis Pors l’illustrateur ont réuni leurs talents autour de ce personnage énigmatique entre tous : Tristan Corbière et la ville de Roscoff qu’il hanta et qu’il hante encore aujourd’hui. On a tout dit sur Corbière et Les amours jaunes, on a tout chanté, mais le livre que l’on nous offre ce jour est de ceux que l’on feuillette la tendresse au cœur et la reconnaissance au bord des lèvres. Les textes de Jehan Despert sont de ceux que l’on souhaite pour saluer le « bossu bitord » et les dessins de Louis Pors créent le décor magique de ce destin hors du commun. La longue pipe au bec ; – les mots que tu préfères – ont ce goût de varech – traversé d’un enfer. En quelques vers, tout est dit, avec en prime, la chaleureuse connivence d’un poète à qui l’on doit une quarantaine d’ouvrages poétiques. Cette rencontre avec Tristan Corbière, sous le signe de la fraternité marine donne à Jehan Despert l’occasion de pénétrer un milieu, celui de la mer qui, pour être souvent pathétique n’en devient pas moins un potentiel vital de belle humeur que les nombreux dessins (couleur) soulignent avec un éclat particulier. Plus explicite qu’un essai, plus significatif qu’un « portrait », ce livre invite à une profonde connaissance de l’œuvre de Tristan Corbière tout en demeurant léger, fraternellement ouvert sur la création d’aujourd’hui.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jacques TAURAND : Une voix plus lointaine, Préface de Jean Chatard, (2007, éditions des Silves, 27 ter, sente des Prés – 95160 Éragny-sur-Oise, 12 €)

Les éditions des Silves ont été créées en mars 2007, dans le Val-d’Oise. Aussi, tout naturellement, écrit Geneviève Silvestro : « Nous publions à la croisée des horizons, à l’image des membres de l’équipe créatrice et du public de la région. Fondée par des ingénieurs, des poètes, et des plasticiens, les thèmes de notre maison ne cessent de provoquer la rencontre entre sciences, arts et la littérature contemporaine. » Les éditions des Silves comptent deux collections de poésie. Celle des « Grandes Silves », accueille (en des recueils de qualité et vraiment soignés côté présentation) des poètes confirmés, tels que Jean-Philippe Aizier (qui publie Rivages, suivi de : Arrêts sur images) et Jacques Taurand, un ami disparu et très regretté par les HSE. Cette Voix plus lointaine, testamentaire, est donc émouvante à plus d’un titre. Les poèmes ont été écrits pour la majorité, à l’exception du premier, la longue et belle « Ode pour une jeunesse défunte », lors de moments difficiles entre L’Isle-Adam et l’Hôtel-Dieu, tout au long des « séjours » hospitaliers du poète, comme le note cet autre excellent poète et critique qu’est Jean Chatard, dans sa préface : « La maladie, la mort, y sont omniprésentes, en de pudiques accents, le poète privilégiant les heures chaudes des regrets, les amours folles d’une jeunesse offertes aux souvenirs, laissant à d’autres un lyrisme outrancier. » Il faut lire ces poèmes épurés et fluides, écrits du fond de cette prison de chair, ces bruits d’un jour où se perdent les pas ; il faut lire ces poèmes, car ils émanent d’un poète qui ne cache pas la vie, mais l’écrit avec la noire écriture du sang.

©Karel Hadek

( Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jean ORIZET : Anthologie de la poésie française (2007, Larousse – 19, rue du Montparnasse – 75006 Paris, 22 €)

Cette anthologie de 1087 pages fera date. Il s’agit d’une édition non illustrée et mise à jour de l’ouvrage qui avait paru en 1988. Donc, nous perdons la richesse iconographique de la première édition, mais pour y gagner en poèmes et en poètes. De la Cantilène de Sainte Eulalie (950) à Olivier Brun (né en 1969), Jean Orizet, nous fait parcourir plus de mille ans de création poétique. Les notices comme les têtes de chapitres, qui s’attardent avec raison sur le contexte historique, social et culturel de chaque époque, sont aussi riches qu’éclairantes, toujours copieuses. La part réservée à la francophonie est aussi ample qu’inédite, pour un ouvrage de ce genre. Que dire de cette anthologie, qui regroupe 350 auteurs, si ce n’est qu’elle est très certainement la plus complète, la plus ambitieuse et la plus honnête de toutes, par son désir de rendre compte, sans la moindre censure, de tous les aspects de l’histoire, des mouvements, des courants, de la poésie française. Toujours de Jean Orizet, nous rappellerons cette autre anthologie de référence, mais sur la période contemporaine, cette fois, qu’est La poésie française contemporaine (le cherche midi, 2004, 18 €), soit 160 poètes de France et des pays francophones, partant de quelques aînés importants mais parfois un peu oubliés, tels que Rousselot, Suarès, Borne, Frédérique, Malrieu ou Bérimont, aux poètes nés après 1950, en passant par la génération née entre 1920 et 1950. Une fois de plus, c’est l’ouverture et l’exhaustivité, que nous devons saluer. C’est rare. Enfin, il convient aussi d’évoquer, ce que nous n’avons pu faire jusqu’alors, cet autre livre important publié par Jean Orizet : L’entretemps. Brèves histoires de l’art (La Table Ronde, 19.50 €). Anthologiste, éditeur, critique, animateur, écrivain, Jean Orizet est avant tout un poète ; un poète qui a parcouru le monde physiquement, géographiquement, oniriquement ; un poète de la vie immédiate doublé, aussi, d’un grand amateur d’art, de culture, de toutes les cultures. On lit L’entretemps, c’est-à-dire « ce va-et-vient entre temps et espace par lequel l’artiste accomplit son rêve d’immortalité », comme on lit un poème ou une prose initiatique (je pense notamment, toujours du même auteur, à L’épaule du cavalier ou au Miroir de méduse). Car, c’est bien de sa propre relation au monde, aux œuvres, aux cultures et aux artistes, que nous parle Orizet, évoquant son expérience, ses éblouissements, ses rencontres et ses amitiés, à propos de la « peinture moderne », de « l’image et l’objet », « l’idole et la momie », « le marbre et le soleil », « le serpent et l’oiseau » ou de ses « carnets d’Asie », à travers une prose éminemment riche et poétique.

©Karel Hadek

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Gilles BAUDRY : Nulle autre lampe que la voix (Rougerie, 2006 – 13 € – 7 rue de l’Échauguette, 87330 Mortemart)

Dès l’invocation – et même dès le titre – le poème ici parle de l’intérieur ; les mots sont de ces portes qu’on pousse/ au-dedans de soi. Mais, dans son intériorité, la vie contemplative en appelle aussi à la voix venue d’ailleurs qui, seule, permet une intuition du monde/ autre que ce qu’il est. Le silence est alors recherché comme un abri, l’écriture, comme une trouée d’extase, un guet-apens de l’invisible.

Pour autant, nulle tentation quiétiste dans ce livre aux intenses lumières : Garde la page inapaisée, se commande à lui-même le poète. De fait, nombre de pages du recueil ne craignent pas, avec foi, d’affronter l’incertitude, l’opacité, la séparation, le malheur. Et il est significatif qu’un salut soit, en plein cœur de l’ouvrage, adressé à Pierre Gabriel [[Sur Pierre Gabriel, voir notre étude Pierre Gabriel ou « Le nom de la nuit », in Les Hommes sans épaules, n° 16, premier semestre 2004.]] et à son questionnement tragique :

Offrir sa chance
à toute aube incertaine
et à sa frêle royauté,
prendre sa lampe
à voix basse nommée,
laisser mûrir sa mort natale :
nul autre legs testamentaire
pour votre adieu au bord
des âges, Pierre Gabriel.

Il reste surtout l’essentielle clarté de cette poésie ; la main à plume dont, citant Rimbaud, elle instaure le rêve diaphane ; les mots de la plus simple fraîcheur et d’une évidence que l’on pouvait croire de longtemps perdues : ce bruit d’étoffe sur la mer […], la soie d’une respiration […] ; et les intuitions décisives :

La mort,
tu la croyais nocturne :
elle t’éblouit.

Un des plus beaux livres du poète. À ne pas manquer.

©Paul Farellier

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jacques TORNAY : Feuilles de présence (L’Arrière-Pays, 2006 – 10 € – 1 rue de Bennwihr, 32360 Jégun)

« Une poésie qui m’apprend à vivre », serait-on tenté de dire après lecture de ce recueil. Son titre, Feuilles de présence, dans la simplicité d’un glissement de sens (présence du monde comme présence au monde) se trouve légitimé dès les premières pages : Jacques Tornay est tout occupé à rompre l’absurde procession des jours, à essayer de surprendre son vrai visage.

Pour quérir la résonance de la vie parfaite, il va piéger l’essentiel dans les manifestations du précaire et du minuscule : La vibration de l’air/ entre l’insecte et la plante… ou encore :

Aucun bruit entre nous sauf le tintement
de nos cuillères diluant le sucre dans les bols
sous la bruine du matin
.

et aussi :

L’oreille au-dessus d’un verre d’eau gazeuse,
j’écoute l’éclat des petites bulles et c’est admirable,
on dirait un lac en palabres
.

Il faut savoir reconnaître un bonheur : déclare-toi heureux,/ de l’infime que tu possèdes. Et plus loin : Je continue mon bonheur dans les choses que vous jugez insignifiantes. De là, tout un art poétique et une morale, en définitive, enseignant à n’être que de passage ; à s’installer dans l’évasif, le probable, là seulement où, paradoxe, se révèle une occasion d’éternité ; à comprendre enfin et à mesurer en nous-mêmes le pouvoir poétique :

Nous avons une voix pour le mûrissement du verbe.
Notre chance incroyable est la floraison et la récolte
effectuées dans le même instant.

Là résiderait le parfait achèvement d’un stoïcisme souriant – s’il est permis d’associer ces deux mots – et doué d’une patience hors de laquelle n’est suggéré aucun autre salut : Le temps s’écoule sans que l’on apprenne sa destination.

Ajoutons que la lumineuse fluidité de l’écriture n’est pas le moindre des mérites de ce très beau recueil.

©Paul Farellier

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean-Luc MAXENCE / Elisabeth VIEL : Anthologie de la Poésie Maçonnique et Symbolique (2007, Dervy – 204, boulevard Raspail – 75014 Paris, 23.50 €)

Je ne saurais dire si cette anthologie suscitera polémiques et commentaires, comme s’y attend Jean-Luc Maxence. Par contre, un fait est certain, c’est qu’il s’agit du premier travail du genre, fort réussi, et certainement exhaustif. Nous retrouvons, au sein de ce panorama, plus de deux cents poètes et chansonniers, francs-maçons ou proches de la franc-maçonnerie, de Voltaire à Francesca Caroutch, en passant par Nerval, Baudelaire, Bruant, Mallarmé, Pierre Dac, André Breton, Henein, Milosz, Dauphin ou Taurand ; quatre cents poèmes sur près de trois siècles ; le tout en 523 pages. Tous les poètes de cette anthologie sont-ils maçons ? Non, bien sûr, mais leur évidente relation au symbole suffit à les y voir figurer. Maçonnerie et poésie sont porteuses de rêve, écrit Jean-François Pluviaud, en postface, c’est que : « L’une et l’autre sont une voie d’accès à une réalité différente, une nouvelle perception de l’univers, une découverte de soi. L’une et l’autre sont un révélateur, permettant la mise au jour d’un modèle d’absolu, enfoui au plus profond de chacun d’entre nous, elles sont un moyen d’appréhender le monde. »

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Roland NADAUS : Les noms de la ville (2007, éditions du Soleil natal – 8 bis, rue Lormier – 91580 Étréchy, 12 €)

J’avoue avoir été conquis par cet homme hors norme, à la fois poète de talent et élu de conviction, qui ne mâche pas ses mots, qu’est Roland Nadaus, à un tel point, que j’ai soufflé le livre et la note de lecture à C. Dauphin. Roland Nadaus a bâti une ville : Guyancourt, dans les Yvelines, dont il fut le maire durant trente années. Poète et élu, c’est justement à cette double casquette dont il ne fit toujours qu’une (ce qui a dû déranger pas mal de monde, tant en politique qu’en poésie), que Nadaus consacre son livre : « Donner un nom est pouvoir presque divin ; j’ai eu cent et une fois cette chance – et parfois j’ai fait l’acrobate ou même le clown au nez rouge pour donner nom à l’amour, à l’admiration, à la reconnaissance, à l’espoir, au témoignage, à la beauté. » C’est bien l’histoire des noms qu’il a donnés aux rues de sa ville (des noms de poètes, y compris vivants, ce qui est unique) dont il est question ici. Si le sujet pourrait paraître ennuyeux, j’assure qu’il n’en est rien sous la plume de Roland Nadaus. Les noms de la ville, sous-titré « Poèmes journalistiques » se lit d’une traite comme un récit qui tient en haleine.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Yannick GIROUARD : Hautes marges suivi de La danse de l’arbre (2007, éd. Librairie-Galerie Racine, 23, rue Racine – 75006 Paris, 12 €)

Auteur de six recueils de poèmes et d’une pièce de théâtre, Yannick Girouard, est devenu en l’espace de dix ans, l’un des meilleurs poètes édités par la Librairie-Galerie Racine. Poète chrétien, Girouard vit sa foi à la manière d’un Roland Nadaus ou d’un Jean-Luc Maxence, c’est-à-dire, sans œillères. Dieu et le sacré sont donc évidemment présents dans la thématique, dans les « Hautes-marges » de l’être, mais en filigrane et d’un point de vue cosmique, universel, et non dogmatique. La souffrance intérieure, l’angoisse, la solitude, l’amour : La Vie : un don par échange – Non : une osmose – comme entre le ciel et tes yeux, la solidarité avec les démunis et les opprimés : je n’ai plus d’ombre – que celle du monde, sont quelques-uns des thèmes forts de ce recueil comme de l’œuvre de Girouard ; une œuvre dense, fluide, exigeante, sans ornières et sans clichés.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Maurice COUQUIAUD : L’éveil des eaux dormantes (2007, Le Nouvel Athanor – 50, rue du Disque – 75013 Paris, 14 €)

Maurice Couquiaud a été le rédacteur en chef de la revue Phréatique, durant dix-sept ans. Il est l’auteur de sept recueils de poèmes et de deux essais qui sont les parfaits reflets de son ouverture d’esprit, qui le porte vers la transdisciplinarité, comme il l’avoue lui-même humblement : « Je serai mort avant d’avoir su relier tous les éléments qui donnent un sens à ma curiosité, un sens à mes poèmes, un sens à mon être passager. Pour l’instant je survis essayant de coller à l’obscurité comme un poisson-pilote pouvant se nourrir simplement de lueurs. » Passionné par les rapports pouvant exister entre science et poésie, poète de l’étonnement, Couquiaud nous dit que L’inspiration dort à poings fermés – sur le seuil des mots fatigués. Et, qu’elle se lève avec ceux que la lumière a secoués. Il nous dit encore que Le poète et le musicien peuvent reconstituer l’homme – dans une résonance… à partir de son chaos. Sorcier harmonien, Couquiaud est le poète qui fait émerger l’harmonie du chaos : Ce météore tombé d’un lointain mystère – me dit que l’homme est la planète de son regard solaire. En ce sens, L’éveil des eaux dormantes fond littéralement au contact des êtres et du monde : Venez ! – Nous serons le ressac des lueurs profondes. Conscience de l’ouverture et de l’étonnement perpétuel, les poèmes de ce recueil convaincront ceux que la lumière a secoués.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)