Raúl RIVERO: Souvenirs oubliés. Poèmes traduits de l’espagnol (Cuba) par Gabriel Iaculli. Préface de Guillermo Cabrera Infante (Gallimard, 12 €).

Raúl Rivero a été condamné à vingt ans de prison pour «actes contre l’indépendance ou l’intégrité territoriale de l’Etat», en fait ce sont ses écrits qui ont déplu vivement à ses censeurs. Les poèmes de Souvenirs oubliés, sans doute écrits au secret, appartiennent à ceux qu’il faut lire par transparence, même si, parfois, les allusions sont claires, même si la condition douloureuse du poète que n’abandonne pas l’espoir n’est jamais occultée. L’écriture maîtrisée ne laisse pas moins percer l’émotion. Contrairement au titre, les souvenirs qu’évoque Raúl Rivero ne sont pas oubliés mais présents dans nombre de poèmes. Dès lors, faisant retour sur lui-même ou donnant cette impression – comment vérifier ? – le poète dit ce que fut un passé dont il est désormais coupé: les figures féminines transparaissent, révélatrices de l’amour, la voix se brise, toujours détentrice d’une force, d’un élan qui entraînent le poète au-delà de sa réalité quotidienne: «Mais je suis sûr que le jour / Où je frapperai à la porte / D’une maison quelconque / A Alcalá de Henares ou à Séville, / A Sonora, Bailén ou Michoacán, / Ce sera elle, Violeta, / Qui viendra ouvrir.» Mais les femmes, l’amour ne constituent pas la seule thématique de ce recueil. Certains poèmes sont conçus comme des moralités et les liens avec la réalité de ce monde sont là pour en dénoncer les travers. Ainsi s’élève la critique des biens matériels: «Je plains les hommes / Qui ont beaucoup d’or», conclut Raúl Rivero dans un poème. Le recours au symbole constitue aussi un moyen pour faire passer un message, comme la fugacité des rêves que véhicule l’art affirme son besoin d’échapper à sa condition.

Dans d’autres poèmes, Raúl Rivero s’en prend ouvertement au régime en place et l’écriture, dans sa retenue, désigne l’ennemi détesté: «Un homme malade et revêche / S’est efforcé / Au long des ans / De se rendre maître du pays / De l’amour, de la haine et du rêve», avant cette conclusion lapidaire et ironique: «Nous allons sans doute en pâtir !» La liberté reste pour le poète le bien fondamental à reconquérir et le poème intitulé «Eloge de l’ouverture» constitue une revendication non voilée: «Avant d’être tenté de claquer la porte d’un geste théâtral / Souviens-toi que les périls sont intérieurs, / Les tumeurs, le voleur, l’assassin, la passion / La folie et la mort. / Laisse cette porte ouverte.» Jamais, toutefois, Raúl Rivero n’exprime sa souffrance: il évoque simplement, avec pudeur, son existence d’homme oublié, parfois aussi l’humour perce, la dérision, procédés qui se changent en une féroce critique d’un régime oppressant: «Il y a d’autres sujets / Que je peux explorer / Sans risque, / Dès aujourd’hui, / Chez moi. / Par exemple: / La vie sexuelle des abeilles, / Le charisme du glaïeul, / Le destin des pierres, / Les notes d’information sur le baiser et / Le concept de liberté / Du bovin en captivité.»

Souvenirs oubliés permet au lecteur de constater le registre varié de Raúl Rivero. Pour lui, la poésie représente un acte au service des hommes, un langage soulignant leurs espérances, dénonçant leurs privations, quel que soit le danger encouru par l’auteur. C’est ce courage qui vaut au poète son actuelle détention.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Europe, octobre 2004, n° 906)