«S’il fallait d’une expression résumer l’œuvre de Jean Malrieu ou plutôt son œuvre et sa vie intimement mêlées, inséparables, je citerais le titre du premier livre qu’il a publié, en 1953, Préface à l’amour», écrit Pierre Dhainaut au début de sa préface. Il est vrai que toute l’œuvre de Jean Malrieu ici rééditée est marquée par la présence de l’aimée, Lilette, et de l’amour qu’il lui porte. Aussi dans Préface à l’amour célèbre-t-il la femme grâce à un lyrisme fervent, source de beauté. Dans cette écriture foisonnante la passion exerce sur le poète une force qu’il ne maîtrise pas, qui emporte le monde avec elle: «Ton nom, c’est le chant de la terre. Les prés sur le dos commencent à hurler. Tout le chant de la mer.» Les recueils suivants continuent de célébrer les pouvoirs de l’amour. Hectares de soleil se nourrit de ce même lyrisme, dit la quête du bonheur, une des constantes dans la poésie de Jean Malrieu, alors même qu’il se définit: «Poème au poing, je me veux incendiaire. / C’est dans le feu qu’il faut porter le feu.» Dans ces textes s’impose une parole exigeante, s’élève un chant ample et soutenu par de multiples images. La femme aimée se métamorphose et Jean Malrieu d’écrire: «Tu deviens ce poème qui se renverse, ouvre sa gorge.» Au fur et à mesure que s’élaborent les autre recueils la voix de Jean Malrieu s’affirme et sa vision s’élargit à l’échelle du monde. Le Nom secret en est un exemple remarquable: la terre s’assimile à la femme aimée: «Je sais que tu es, immense jardin, à la fois corps de la femme, porte du ciel, chemin des neiges.» Si la célébration de l’amour demeure l’essentiel pour Jean Malrieu, ce ne sera jamais l’érotisme qui le conduira: chez lui l’amour est une exigence, une morale, une atteinte à la spiritualité, d’où cette expression à la fois débordante et mesurée dans ses termes. Pourtant au fil du temps, d’autres thèmes viennent s’adjoindre à celui, prépondérant, de l’amour. Dans La Vallée des rois, c’est à l’éloge du pays, celui de Penne-de-Tarn, que se consacre le poète dans des scènes plus intimes. On lit dans ces poèmes la nostalgie d’un temps passé, l’évocation des amis proches: «Où sont ceux que j’aimais ? / Ailleurs et loin de moi, ils regardent d’autres maisons, / Un reste de clarté sur un visage, / L’ombre d’un papillon nocturne.» De même pointe le souvenir de la mère, cela avec «les mots du dénuement, de l’abondance.» Ce regard porté sur la terre, sur l’intime, se retrouve dans Possible imaginaire qui se tourne vers la simplicité, dit la plénitude et la pauvreté d’être, les difficultés autant que la joie: «N’importe où commence le monde. / L’allégresse partage les nuits, les jours.» Quant à ce recueil, Le Plus pauvre héritier, son contenu affirme justement ce que fut Jean Malrieu l’homme, le poète: «Moi, je suis un mendiant, je prends mon pain dans le soleil, apaise ma soif dans le regard.» Et ce sont des conseils qu’il adresse aux autres dans lesquels on retrouve cette éthique en face de l’existence: «N’aime pas. Adore./ Au moins tu vivras au sommet du bond. […] Prend parti. / Crie» alors même qu’il sent la marque du temps peser sur lui, «la mort qui travaille».
Jean Malrieu, poète de l’amour, fut aussi un homme humble qui n’aspira jamais aux honneurs. Il fallait la publication de ce volume pour lui rendre hommage. Lire ou relire ces poèmes permettra de découvrir ce qu’il a légué d’indispensable.
©Max Alhau
(Note de lecture parue dans Europe, mai 2005, n° 913)