RIVES DU TEMPS, Antoinette Jaume (La Bartavelle Éditeur, Charlieu, 1995).

Voici une vraie poésie de méditation ; un poète, dans son authentique langage de poète, aborde les thèmes majeurs d’une métaphysique : la vie, la mort, les choses, les mots, la conscience, le temps. Est-il besoin de dire qu’Antoinette Jaume ne nous donne pas la « traduction poétique » d’un système philosophique ? C’est son expérience propre, vécue en poésie, qui produit d’elle-même les interrogations fondamentales. Le livre, en ses trois parties (Rives du temps, Visage écrit, Paroles de vent) nous conduit pas à pas dans une exploration des profondeurs. Si le poème, dès la première partie, sonde les abîmes de l’être, il y parvient comme en dépit des images et des mots qu’il emploie, frappés d’emblée d’une sorte de soupçon radical :

Le gouffre étreint et voudrait révéler
le mensonge des images ces noms qui
ne nomment pas ces mots
qui ne disent pas tout à fait

et de même, ailleurs :

Les choses traquent les mots
jusqu’au bord de leur nuit.

Le questionnement, avant même de s’adresser à l’être du monde, érode nos propres facultés de perception et d’expression :

Jusqu’où va le regard ?
Jusqu’où va la parole ?

[…]
Au déchirant royaume d’être
la pulpe et la parure taisent le noyau

En lisière se tient donc le poème. Du temps, de la mort, – de la mer qui en est séjour et symbole (le bruit de la mer mental et rare / pareil au souvenir) –, il se veut simplement la rive d’où le néant semble proche,

peut-être continuité autre peut-être
mémoire et recommencement

Au terme d’une intense et insistante méditation de la mort, d’une descente aux villes englouties, aux profondeurs des sables et de l’océan, et dans la terre douce qui emplit narines et paupières / écrase le cri contre les dents,

[…] plus rien ne subsiste qu’un peu
de lumière suspendue
aveuglée aveuglante
sans paupière ni rétine
en ce temps hors du temps.

La deuxième partie de l’ouvrage, Visage écrit, prolonge ces pensées en une quête à la fois sobre et passionnée : celle du visage absent, serein sous ses blessures / que la main a su si bien caresser / épanouir en belle chair sous sa paume. Le visage sera déchiffré d’un regard sûr, celui du peintre qu’est aussi notre poète :

Fondus inédits du visage
qu’aucun pinceau n’approche
bleus maculés de brûlures
violets à la frange des pourpres

[…]
Par touches à peine affleurantes
les ocres soulignent le lisse de la pierre
sous la transparence de la peau.

Le visage amoureusement épié, où se succèdent les phases du rire, du rictus, du sourire si proche des larmes, cette face affrontée au paysage et transcendée elle-même en paysage – Visage de forêts et de lacs / avec des plages lisses / des falaises chauffées d’un sourire lent – subit sans cesse perte et reconquête, transfiguration et, de nouveau, perte, jusqu’à ne plus répondre à un appel inabouti, jusqu’à ne plus rendre regard pour regard :

Ces yeux ne voient plus que leur ciel intérieur […]

S’il est une réponse, c’est dans la troisième partie, Paroles de vent, qu’on pourra l’entendre : leçons qui parviennent en écho (m’as-tu dit […], disais-tu […], m’as-tu dit encore […], as-tu alors murmuré), comme les bribes d’un dialogue longtemps interrompu, puis repris dans la mémoire. L’attente y est célébrée, dans un oubli tourné vers l’outrepas […], avec un regard qui reflue / vers la pupille des origines. Car, après l’épuisement de toute passion, de toute fièvre et de toute attente, le sommeil qui vient n’est / jamais qu’une autre attente.

Le monde ainsi renoncé, une vie est légitimée hors du temps :

enfin un silence que nulle foudre
ne saurait rompre
Une fin qui abolit toute limite.

Dans ce très beau livre où l’art des couleurs dompte le tragique, jamais la profondeur de la pensée ne nuit à l’élan du poème ; elle l’exalte au contraire, dans une beauté toujours grave et sereine, qui atteint à la sagesse.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 1, 3ème trimestre 1997)

MOOREA, suivi de DIVE LUMIÈRE, Monique Rosenberg (La Bartavelle Éditeur, Charlieu, 1995).

Beaucoup d’éclat dans cet ouvrage double : Moorea tout d’abord, écrit par éblouissement de l’âme et du corps dans leur Eden originel ; Dive lumière ensuite, hymne tout palpitant, mystère de clarté, d’étonnement, de piété, de « compassion amoureuse », d’espérance.

Quand le jour s’ouvrit, comme vanille
d’un fruit

il ne nous a pas surpris dans un fauteuil de cinéma, et nous n’étions pas non plus de ces touristes euro-polynésiens en rupture publicitaire de leur quotidienne grisaille. Car l’auteur découvre dans ces pages son vrai et essentiel séjour, et le fait nôtre, aussitôt :

Ce n’était pas le dépaysement qui prit possession de
moi, à Moorea, mais une reconnaissance, un semblable,
où nuages, où fleurs ont le seul rapport qui, au monde
vaille
avec la sévérité des montagnes fabuleuses

En ce lieu, où l’on nomme « oiseaux de paradis » les fleurs du bananier, toutes les images du vivant s’interpénètrent, et le poème se déroule dans l’osmose parfaite des trois règnes, animal, végétal et minéral :

Il semble que s’égosillent dans les manguiers, les palmiers
que les oiseaux ne puissent être,
au calice rutilant,
que les fruits les mieux renversés, chantants,
pour la force et le brillant,
tant la terre et la lumière sont ici
l’or, coulé en laves, des montagnes noires du ciel –
les langues rouges des fleurs de bananier.

Une telle poésie fait littéralement palper, humer l’unité fondamentale où l’être du corps et de l’âme devient celui même des éléments :

Tandis que je nageais
dans l’eau parfaite et continue, l’eau
traitait mon corps comme de
l’eau ; l’air, comme une âme,
buvait à mon visage
l’air animé d’anima

Au passage et comme il se doit, Monique Rosenberg salue le Segalen des Immémoriaux ; nous avouerons pourtant, révérence gardée, avoir trouvé plus franc bonheur au petit livre récent qu’au grand « classique », lequel, peut-être, voulait trop « prouver ». Quant à Gauguin – qu’on pouvait pressentir –, il n’est pas nommément invoqué ; bien plus fin s’avère, chez notre poète, le référent pictural, pourtant inattendu :

Le rose, les gris, l’or se sont
mêlés.

En grand silence, Turner, lève-toi des morts, regarde encore une fois.

Ainsi porté par des couleurs poignantes, comme le dit la fin de Moorea, le poème, devenu sensualité d’esprit, se hausse à l’adoration d’une lumière encore immanente, mais révélée « dive ». La foi du poète manifeste in limine son pouvoir d’affirmation :

Que l’on me paie en prairies d’éblouissement
l’émerveillement est ma cause première.

Partout la matière verbale est ciselée en ostensoir de la lumière, cette patience à inonder de vie : d’abord dans l’immensité de la nuit même, majeure et constellée, qualifiée de ferlante, et qui figure ainsi la grand-voile porteuse des milliards de matins d’été / pressés en diamants et poudre d’apaisement / Car les étoiles sont les fours des dieux ; mais aussi dans l’intimité brève de l’image-fruit du plein été, comme le suggère le beau poème intitulé Nage avec nous :

Eau de pêche très mûre
La chaleur appuie, l’eau pardonne
Eau, belle eau, gracieuseté
de l’immanence

ne point écraser une goutte d’eau
nage avec nous, lumière

Et en tous lieux d’une terre rédimée, sur le froissement du vent, sur la scie dans l’appentis, sur le jardin, la maison, sur la tombe de l’absent, avec l’eau invitante et régnante, triomphe la voyelle lumière.

Chez Monique Rosenberg, l’image procède toujours d’une nécessité rigoureuse, adoucie cependant par l’aimable laisser-aller d’un style qui enchante, tout à l’opposé du purisme : les syncopes du phrasé, les brusqueries dans l’aménité y abondent, avec aussi quelques très jolis barbarismes. C’est en tout cas une véritable fête que ce dernier livre, à notre avis l’un des plus réussis du poète.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 1, 3ème trimestre 1997)

UNE MACHINE À INDIQUER L’UNIVERS, Pierre Oster Soussouev (Obsidiane, Sens, 1992)

« Opuscule » peut-être – si l’on en croit sa justification du tirage -, ce recueil : Une machine à indiquer l’univers, réunit des entretiens anciens, par endroits récrits, de Pierre Oster Soussouev, avec deux ajouts de l’auteur et une belle, sobre et pénétrante préface de Bertrand Saint-Sernin (La Beauté pas à pas). Peu de pages, il est vrai, mais combien plus chargées de sens et de poétique vertu que tant d’ouvrages volumineux. Ceux-ci pourront sans doute nous laisser moins ignorants, mais le petit livre, lui, nous aura fortifiés – j’ose à peine dire : adoubés.

C’est qu’il s’agit, dans la familiarité de conversations amicales, d’une véritable épreuve des valeurs, et à travers la modestie revendiquée pour l’entreprise poétique, d’un « pèsement des âmes ». Ces propos, suscités par la franchise d’un dialogue entre amis, se tiennent en effet dans la rigoureuse lignée de deux écrits essentiels du poète : Requêtes et Pour un art poétique [[Requêtes, version nouvelle suivie de Pour un art poétique, Le temps qu’il fait, Cognac, 1992.]] ; cette fois moins ciselés certes, plus proches de la parole vivante, quoique toujours très « rédigée », de l’auteur ; mais en tous points fidèles à l’éthique longtemps méditée qu’expriment ces deux ouvrages.

Une préoccupation centrale, décelable dans l’ensemble des entretiens présentés, se trouve plus fortement explicitée par l’échange avec Michel Orcel (Exploration de la poussière) : celle du rapport aux choses. Déjà dans Requêtes, on pouvait lire : Notre inquiétude sans discontinuer s’use aux choses, immanquablement nous y reconduit, ou encore : Croire, et comme un chrétien au Christ, en la tenace vérité des choses, ou même : Une attention émane des choses ! Ici le poète confirme que sa quête de l’esprit, de ce qu’il nomme le vent, passe nécessairement par les choses, elles-mêmes provoquées en des édifices de langage que l’auteur, armé d’une des plus inlassables patiences, élève puis détisse pour les rebâtir sans fin : un individu aura tenté de descendre avec des mots dans l’abîme matériel, image et support de la souveraine présence des choses ; il aura donc pénétré dans le royaume des détails, y rencontrant pourtant l’échec, mais cet échec même est le révélateur d’un passage de l’esprit en une suite indéterminée d’images de ce qu’il est, et déjà n’est plus… Quant au poète, par qui cette révélation arrive, il ne possède rien, ne règne sur rien, médium souffrant et malade d’une communication qui très tôt lui échappe ; […] dépossédé de l’univers par l’active étrangeté des sons, puis dépossédé de sa voix par la réalité de l’univers ; […] sa compétence chaque jour s’évanouit.

Et pourtant, ce livre contient aussi la proposition antinomique : Paradoxe : la faiblesse est en nous comme le signe d’une possession souveraine. (Entretien avec Philippe Camby). Il est vrai qu’elle concerne l’homme en général, plus que le poète en particulier : à celui-ci, l’auteur concède bien les vertus de contemplation et de solitude, mais dénie tout pouvoir de féconder ses propres virtualités, de puiser dans son fonds ; son rôle est de faire consonner les siècles.

Un tel refus, si conscient, de la perspective égotiste aurait pu, chez tout autre poète de l’époque, entraîner l’adhésion aux théories « autotéliques » de la littérature. Rien de tel avec Pierre Oster Soussouev : Je me dresserai, non sans violence, contre ceux qui (stigmatisons l’aberration !) décrivent le langage comme ayant en soi sa fin. A notre poète, l’effacement du moi n’impose pas le vide post-mallarméen ; il profite au monde, en un panthéisme avoué qui éclaire derechef la formule : une machine à indiquer l’univers.

L’entretien avec Jacques Darras (Un abîme entre les mots) développe et approfondit ce débat autotélisme-hétérotélisme, abordant aussi les questions si essentielles du rapport de la poésie et des sens et de l’intégration du corps à la pensée. Y aideront les muses du corps favorable. C’est en effet par un usage réglé de son corps que le poète parvient à esquisser, dessiner quelque phrase, et n’échoue pas à en enchaîner quelques autres !

Le livre, qui touche d’ailleurs à de multiples problématiques de la poésie de toujours et d’aujourd’hui (aller de l’image à son complément intellectuel et du concept à sa contrepartie sensible ou encore Dionysos et Apollon : occupons-nous plutôt de renforcer l’antinomie qui existe entre ces pôles), constate aussi certaines permanences : entre autres, celle de l’empreinte paysanne dans l’imaginaire d’une civilisation irrémédiablement urbanisée (Nous sommes des campagnards dans ce théâtre de villes), sans négliger la question du style, le bon usage des verbes, les charmes de la ponctuation… L’Un, obsession du poète, se révèle ainsi dans la multiplicité des facettes.

Repère indispensable à quiconque envisage le champ poétique contemporain, ce livre, dont une juste polémique – mais d’ordre supérieur ! – n’est pas absente (Cloaca maxima ; Pour, contre), donnera d’immenses plaisirs de lecture et de pensée à tout minutieux compagnon du logos – j’entends là quelqu’un qui, par exemple, sache accueillir ce conseil de l’auteur en ses Requêtes : Fais-toi assez petit pour que la plus petite parole te recouvre.

©Paul Farellier

(Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 1, 1995)

Quelques notes sur « Alchimie de la lenteur » de Pierre Oster Soussouev

Usons d’une rapidité décisive, de la décisive alchimie de la lenteur !

Chiasme intense et surprenante vérité dans cette exhortation. Rien ne s’obtient que par le plus court chemin de la lenteur, et c’est bien elle, par mûrissement patient, qui emporte la décision. Dans les marges du même esprit, sur la vivacité méditée du poème bref, j’avais cru pouvoir suggérer : Peu de mots ;/ cette page est lente :// un recoin du temps.

*

Bribes, débris, j’ai besoin de vous. […] Avec un fétu je fonde l’acte de l’âme.

Toujours cette confiance, cette foi dans l’intime fréquentation des choses, exprimée déjà dans Requêtes ou dans Une machine à indiquer l’univers et qui reparaît ici en plusieurs aphorismes : Demeurons purs, à l’image des choses. Soyons des choses les dévots. […] La gloire des choses entoure l’humanité. Cette gloire veille en nous. […] Que les choses en leur pérennité nous font naître. La nuance qui pointe maintenant tient à l’humilité des objets considérés – bribes, débris, fétu –, au fragmentaire de leur existence, d’où ressort, encore plus nettement légitimé, « l’orgueil » du je fonde.

*

Ne pas abîmer le plus rare des objets, la joie philosophique… Ne pas tordre l’aiguille de la boussole.

Ici, sous d’autres accents – plus contenus –, c’est la voix passionnée du philosophe Jean Granier dont je crois entendre la sagesse artiste : Quand l’homme s’adonne à la philosophie, il se donne à soi, il accomplit sa singularité dans l’universalité./ La philosophie est l’amour qui pense.

*

[…] ce point de tangence où la nature et l’esprit se jettent dans l’attention de Dieu ?

Autorisant la ferveur, tendrait vers ce point la visée de la connaissance – par métaphore, nous est-il dit (sous une forme interrogative qui persuade mieux que toute autre). J’aime ce mouvement pronominal (se jettent), j’aime voir prêter à la connaissance – donc aussi à la poésie – l’élan total qui est celui de la prière.

*

Peut-on avancer que le poème nous prodigue ou nous indique une abondance secrète ? […] Qu’il y a une abondance virtuelle ? De nombreuses cases vierges dans la table du Mendéléiev intérieur ?

Là encore, le beau questionnement suffit à me convaincre : tout l’effort poétique ne vise-t-il pas à découvrir ces radiums, ces poloniums du mystère ? Expérience de Rimbaud, bien sûr ; de Mallarmé ; mais encore toute l’entreprise surréaliste – pour ne citer que les exemples trop évidents…

*

[…] aimer l’obscurité du cœur de la phrase.

Oui, notre seule patrie – où j’ai cru entrevoir que nos terres vraies sont cachées.

*

[…] des sons fabuleux et favorables nous guideront vers des pays substantiels.

La portée de l’oracle ainsi rendu à Orphée, sans doute faut-il la mesurer par un retour à la formule, moins faste en apparence, qui, dans Une machine à indiquer l’univers, caractérisait le poète : dépossédé de l’univers par l’active étrangeté des sons, puis dépossédé de sa voix par la réalité de l’univers. Une écoute attentive s’impose pour dissiper l’éventuel soupçon d’antinomie entre les deux propositions. La clé pouvant ici révéler continuité et cohérence serait-elle à chercher dans le rapport entre l’univers – le monde – et les pays substantiels – la substance (à entendre, semble-t-il, dans une acception cartésienne ou spinoziste) ? Si l’active étrangeté de la voix du poète ne peut que le séparer du monde, fabuleuse et favorable, elle le ramène vers la substance, par définition non tributaire du monde. Ne se retrouve-t-on pas ainsi sur la voie de l’Un admirable, dans une célébration jamais interrompue ? Au demeurant, par l’effet de l’Unité, l’univers n’est en rien dévalué : L’idée d’un centre et d’une idéale Pangée nous accorde. L’univers n’est pas de trop.

Ce qui précède semble confirmé par ce fragment vers la fin du livre : « Que dis-tu ? » – « Je dis que mon fardeau me libère. Croissance et jusant nous instruisent. Une sainte substance s’y annonce. »

*

Nous régnons par l’empathie : par de très fines effusions qui accroissent notre vigilance ; par la tension sereine qui nous met debout. Nous régnons sur une coupure sacrée.

Ainsi aura parlé l’irremplaçable expérience. Lettre morte, sans doute, pour quiconque sera resté hors de poésie, même armé des repères de l’intelligence et du savoir. Mais, pour quelques autres – et, parmi eux, aussi les humbles s’ils sont véridiques –, parole du mystère illuminant : un jour ou l’autre, ils ont senti la coupure sacrée.

©Paul Farellier

( Texte publié, à la demande de Pierre Oster Soussouev, dans Phréatique, n° 83, automne 1997 )

ITHAQUE ET APRÈS, Jean-Paul Hameury (Folle Avoine, Bédée, 1993)

Après le conte de fées, il reste à vivre. Cette vie-là n’est qu’une lente agonie. Les plus belles histoires des Mille et Une Nuits (on songe à Sindbad, cet autre Ulysse) s’achèvent en des retrouvailles de lumière, après quoi, sur les lèvres de Schéhérazade, le monde brusquement réintègre l’attente cosmique de la « Séparatrice ». L’Odyssée se termine sur la soudaine concorde que vient dicter Athéna au plus fort d’une émeute. Il n’y a pas de conclusion, pas de leçon. Pourquoi le combat s’arrête-t-il ? Pourquoi, la vie ? Parmi les Anciens, pourtant créateurs du mythe de l’Hadès, certains n’admettaient pas cette éternité figée : un poète de Cyrène n’avait-il pas poursuivi l’entreprise homérique, redonnant à Ulysse d’autres voyages, une nouvelle épouse royale, un fils de plus… et une mort au combat ?

Tout au contraire, le poète contemporain choisit, lui, la figure d’Ulysse pour imposer le plus long suspens : une mort du temps nommée Ithaque. Ce thème central, ce tronc solitaire sur lequel de beaux motifs voisins ou dérivés ne sont que rameaux et surgeons, assure à l’ouvrage de Jean-Paul Hameury, au delà d’une parfaite unité de style, sa cohésion foncière et en fait un livre de poésie, non pas un « recueil » .

Dès l’entame, et dans cette qualité particulière de fine grisaille choisie par l’auteur comme couleur orchestrale de l’ensemble, surgit ce thème d’une Ithaque semblable à ces galets qu’ailleurs,/ pour abolir le temps, je lançais/ distraitement sur les mers. De même : Comme dans la chambre aveugle/ et muette des morts, toute chose/ ici semble à jamais protégée/ des aléas du temps. Le poète nous situe ainsi d’emblée, quoique dans une tonalité fort différente, au « Grand âge, nous voici » de Saint-John Perse. La vie a connu ses trois âges, et d’abord celui de la possession du monde dans l’éternité de l’instant : Il m’arriva d’être heureux/ parmi les choses familières.[…] Et c’était alors la même chose/ que garder ou perdre, et la parole/ ne disait rien d’autre que cela :/ le monde est là pour toujours ; puis celui d’un consentement à la fuite du temps, avec ce pouvoir/ d’imaginer que l’on pensait garder,/ certain de toujours aimer/ ce que le temps nous offrirait ; enfin l’âge où tout s’arrête et s’abolit : Le temps ne passera plus. Les naufrages sont d’hier. Seul surnage le souvenir de Nausicaa (c’est elle/ qui m’est la plus présente). Les vaisseaux s’émiettent sur les grèves. Le livre est un pourrissoir des nefs.

La vraie vie se trouve rejetée dans un passé définitif : Il y eut cela une fois/ – ensuite, plus rien. À l’heure présente – mais même cette heure existe-t-elle ? – c’est le règne de la dépossession et de l’absence : Ulysse est devenu un nom/ qui ne m’appartient plus.[…] Que tous ignorent en quelle absence/ m’a transformé le passé. Ulysse a pour mutant irréversible « Outis » et jouit de n’être personne et même nada :

Je ne désire plus qu’errer dans la patrie
sans bornes des exilés, dans les terres
du rien, avec les choses, les mots,
les compagnons lumineux d’autrefois.

Un autrefois qui, certes, vit encore à l’état de précieux souvenirs (cette façon princière/ qu’avait Diomède de guider les chevaux[…] une couronne de fleurs/ bleues sur les draps blancs de Calypso) mais ne fait que fortifier le sentiment d’un exil sans recours :

À mon retour, l’île n’était plus
qu’un brasier éteint.
[…]
On finit ainsi peu à peu
par n’être plus qu’un arbre
aux racines étranges, privé
de terre et d’eau, vivant
on ne sait comment.

On notera que Jean-Paul Hameury a d’ailleurs prolongé dans un autre livre [[Exils, Thierry Bouchard, Folle Avoine, 1994, dont des extraits ont paru au numéro 1-2, 1994 de La Revue de Belles-Lettres.]] et approfondi encore cette pensée de l’exilé que ne sauve aucun dieu, cette pensée douée de désir mais privée d’espérance.

Ce qui, dans Ithaque et après, tempère le désespoir dont le lecteur pourrait être saisi, c’est peut-être d’abord la beauté fluide et toute classique de la forme, sous la tutelle forcément lumineuse du référent homérique : La poussière soulevée par le corps/ d’Hector est retombée depuis longtemps/ mais je la vois encore flotter/ derrière les chevaux d’Achille ; mais c’est aussi la douceur d’une sagesse stoïquement mélancolique : Une sagesse grise m’est venue./ Ainsi désormais ma vie : vague bruit/ du vent dans les feuillages ; et c’est surtout, et par paradoxe, une imposante familiarité naturelle avec les morts, dont le vieil homme reste le seul lien, le seul dépositaire, Ulysse, homme-tombeau : Je me souviens du bois de Perséphone/[…] de mon effroi lorsque parlèrent/ les ombres ardentes des morts ; puis vint le jour/ où je n’eus plus d’autre souci/ que de creuser en moi pour les morts.

Car c’est peu dire que Jean-Paul Hameury récuse la transcendance : il se détourne aussi – et c’est là tout le sens de cette poésie descendante – de l’épopée de l’âme et de la vie humaines dont le plectre d’Homère agite le leurre de signes et de symboles ; ce « Bateau ivre » du Polymechanos veut pourrir dans la flache/ Noire et froide ; son immanence, pour « vrai lieu », élit un très paisible enfer/ où je n’ai plus à espérer/ – seulement à contempler/ le peu qui me reste à perdre.

Beau livre en tout cas. À lire d’abord d’un trait, pour en épouser la courbe ; puis, dans le rythme, y revenir écaler délicatement les richesses.

©Paul Farellier

(Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 1, 1995)

LA FIN DU TEMPS, Denis Clavel (Le Pont sous l’eau, Cerisiers, 1994 ; diffusion : Galerie Racine, Paris).

Denis Clavel est un poète habité de sa foi. Pour autant, si toute son œuvre – importante : une quinzaine de titres sur trente ans – dialogue avec Dieu, son approche du mystère néglige, comme délibérément, toute prudence, toute révérence ecclésiale, use d’un vocatif puissant, parfois téméraire :

Dieu dont la distance imprime au regard navrant
de l’artiste ou de l’idiot des airs de souffrance
promènerez-vous toujours ainsi par le monde
l’extravagant amour que nul ne mérita
……………………………………………………..
Dites-nous pourquoi le grand jour est un désastre
et ce qu’il faut de mort pour gagner votre Joie
[[Opéra sur la vitre, Guy Chambelland, Paris, 1972.]]

Ici la séparation, le manque et la douleur sont les composantes mêmes de la relation mystique :

Heureuse la créature que le maître abandonne
dans le deuil le silence est parfait
seul un dieu à la rigueur un ange lui répond
[[Porte d’âge, Le Pont sous l’eau, Cerisiers, 1992.]]

À partir de là, et dans une fréquentation assidue de la mort par la vie (Mourir prend tout mon temps[[Paysage clandestin, Gardet, Annecy, 1976.]]) monte une affirmation qui nous rend concrète la liturgie du temps vers l’invisible :

Il n’est ici de chant ni d’oiseau parmi les ronces
ma mémoire le chemin n’existe pas cependant je m’éloigne
je marche ma vie entière dans le vide et j’appelle
d’un geste de marbre écorché l’autre qui dansait
ayant posé sa semence dans l’espace et sans désir
dieu que j’aimais ce regard seul l’invisible est désirable
[[Métier d’homme, Le Pont sous l’eau, Cerisiers, 1990.]]

Comme il est rare en poésie, c’est, on le voit, le pari du sens que tient Denis Clavel, et plus précisément du sens de la vie. Il est à craindre que beaucoup ne le lui pardonnent pas, qui s’attardent à considérer le poème comme pur jeu de langage et travail d’une écriture sur elle-même. La qualité d’écriture, Denis Clavel pourtant n’en manque pas, dans le registre de la simplicité, de la prise directe alliant rugosité, aspérité et douceur désirante. Mais son lecteur – encore et surtout dans ce dernier livre, La fin du temps, où l’expression semble s’être apaisée – lui doit plus que la beauté naissant du verbe, plus que l’émotion surgie des manipulations du syntagme : Denis Clavel est un maître qui, sans nullement professer, enseigne l’art d’exercer la joie devant la fin des choses.

Au centre du livre, un poème de trente et un quatrains porte pour épigraphe : aux enfants de mes enfants, et pour titre : Sur la plus haute branche. Bâti, en effet, autour des leitmotive insistants de l’immémoriale chanson « À la claire fontaine », ce texte à l’expression parfaitement contenue ne laisse pourtant pas d’émouvoir en profondeur. Ici la parole poétique vibre comme au delà du temps :

J’appartiens à un ordre errant
le jour ne vient pas à moi je vais à lui
il y a longtemps qu’un chemin me désire

Un jeu véritablement « dialectique » s’instaure dans le poème entre absence et présence, chacune incertaine et « poreuse », comme eût dit Valéry. Et ce jeu se renouvelle et s’enchaîne sur différents plans :

celui de l’homme :

Quand ma mort aura vingt ans de plus que moi
qui me dira le goût des choses et qui
en échange de l’inconnu redira ma chanson
en mémoire du temps où le temps m’écoutait

celui du temps :

Ne dit-on pas d’une rencontre qu’elle a lieu
c’est un lieu vulnérable qui dépend de toi
ainsi le temps s’offre un petit présent
avant toi ni après il n’existe vraiment

celui de Dieu lui-même, dissimulé en des distances aléatoires :

Dieu ne descend pas il traverse vers nous
et s’inspire de nos caresses nos soupirs

Mais le propre d’un Dieu n’est pas d’être ému
…………………………………………………
il n’y a pas de différence entre Dieu et le vide
et pourquoi ne pas aimer le vertige entre nous

La lumière est de même nature que la joie
Dieu n’existe pas à la façon des hommes
des fruits des collines des bêtes
l’existence est affaire de mortels

On nous pardonnera – ou plutôt, sans doute, on nous saura gré – d’avoir, dans cette chronique, laissé parler le poète lui-même plutôt que son commentateur. C’est qu’il s’agit de rappeler l’attention, au delà même de ce dernier livre si convaincant, sur plusieurs ouvrages antérieurs[[Aux références précédentes, on ajoutera par exemple : Lazare, Le Pont de l’Epée, Paris, 1984, et Le Poème, Le Pont sous l’eau, Cerisiers, 1990.]] qui déploient, au cœur du tragique, leur intense sobriété, et sur l’ensemble d’une œuvre très injustement méconnue, écrite il est vrai sans nul souci de la renommée et sans la moindre affectation « poétique » : il importait donc de faire entendre directement cette parole droite, audacieuse, son augurale simplicité.

La frileuse nuit du monde explique que parfois la vue soit troublée :

Plus je vais plus je devine et plus j’ignore
est-ce le brouillard ou mes yeux malades
je me perds en un lieu que je connais par cœur
j’ignore mon pouvoir c’est pourquoi je parle

Mais une certitude (Je sais de quoi demain sera faite la lumière) reste gagée par la splendeur :

Ouvre pour moi la lèvre de tes yeux
pose pour moi paysage dans le temps qui s’achève
et que la paix échouée en moi étende
son ivresse de frelon dans le bleu des chardons

©Paul Farellier

(Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 2, 1995)

LE CHEVET, Henri Heurtebise (Rougerie, Mortemart, 1994)

La lampe de chevet fait signe/ à travers la parole et, dans ces onze poèmes – de fait, une seule coulée : l’ode aux belles proportions –, ce que l’on entend dès l’abord, c’est cette naïveté forte, ce goût de la vie et de la femme, de cette matière noble que je sais chanter maintenant, un naturel gagné par l’expérience du poète, exprimé d’une voix mâle et juste, la terre latine labourée pour l’amour et la mort, pour les solennités du temps, pour l’honneur du verbe. Le chevet, c’est encore l’un de ces « vrais lieux » que le poète moderne tente de désigner, de dégager de la gangue quotidienne, en offrande à ceux, déjà rares, qui se tiennent en éveil. Ici, une chance nous attend : Dans ta pénombre physique/ le possible se tient/ au chevet – oui, amour aidant, elle nous attend :

on meurt souvent
on crie
mais chaque jour on entre
en matière lumière
et si votre amie est exquise
délicate comme l’ombre
alors peut-être entrez-vous
en terres imaginaires
jadis moquées
et respirez-vous le large et l’intime

ce que je nomme le chevet.

Là, dans un vertige fasciné de l’humain – une grâce délicate/ un silence d’amour/ où pénétrer –, les privilèges du poète sont enfin manifestes :

Écartant le nombre et le bruit
la poésie quand le soir est tombé
a dit juste
[…]

Écoutez le poète hors du savoir, quand il modèle le temps humain. Écoutez-le beau dire. Il tient les mots comme une lyre produisant un autre silence, la loi légère de l’être, la souveraine aisance du temps.

Le temps justement, ami-ennemi tout à la fois, nous vaut l’un des plus beaux poèmes de cette suite : nous vivions en Noël/ et le temps lentement glissa,/ quittant la maison/ la mère/ la force des objets/ les nuages […], mais il resurgit dans presque tous les autres quand le poète s’y confie, comme dans la belle pièce intitulée Abandon. Seule la veilleuse intérieure (autre magnifique poème) peut renvoyer hors du temps, dans une asaison/ silencieuse […] sans forme/ sans nom// dans l’épaisseur non arrivée/ du monde ou de même encore, en ces pages intitulées Qu’une fleur révolutionnaire envahisse, refouler au lointain refuge d’amours prénatales, appelant le contact hermétique/ le ventre féminin/ où sans voir je vivais/ où sans prendre j’avais/ où sans vouloir j’étais/ sous le ciel le plus tempéré/ sur le sol le plus doux,/ enveloppé dans le bonheur sans lieu,/ faisant mes gestes les plus courts de nombril à nombril.

Et c’est peut-être ce double jeu du temps (avec et contre, dedans et dehors) qui, à la poésie d’Henri Heurtebise, si enracinée soit-elle parfois dans une glèbe puissamment érotique (L’obscène royal/ de la mort intacte/ de la vie violente des flammes/ du sucre rouge de ton sexe […] tes lèvres basses/ tes lèvres de végétale […] Je sais que la lumière est là/ au fond de ta vigne/ au fond si fort/ du réel), garde la faculté, devenue si rare, d’interroger mystiquement le vide lent et clair presque liquide de l’amour. Et si généreuse est la richesse du chevet que, même le dieu évité (cette présence dont on constate qu’elle ne vient pas et dont on sait bientôt qu’elle ne peut venir […] le regard pour constater qu’il n’y a fondamentalement personne), son irréfutable lumière glisse déjà/ dans ce qui est parti/ Naissance de l’après-monde […] (Une joie terrifiante est promise/ à côté de la mort,/ un œuf un astre une fin douce/ dans le natal), naissance pourtant laissée indécidable, près de fondre et mourir/ dans notre histoire inconnue,/ cette musique.

On ira donc dans ce livre d’Henri Heurtebise comme à travers la vie elle-même, douce et tragique, tremblante d’être là/ d’être forte. Une vie à vivre et revivre entre surabondance et limite : ce que le poète avait déjà nommé L’Inépuisable fini.[[Titre d’une poésie publiée dans la collection Fondamente, Multiples, Longages, 1991.]]

©Paul Farellier

(Note in La Revue de Belles-Lettres, n° 1-2, 1997)

LA VIE EN GAGE, Pierre Gabriel (L’Arrière-Pays, Auch, 1994) ; LA CINQUIÈME VÉRITÉ, Pierre Gabriel (Rougerie, Mortemart, 1994).

Pierre Gabriel nous a quittés en juillet 1994, entre la parution de La vie en gage et celle de La cinquième vérité. Il nous lègue une œuvre tragique et forte qu’il faudra longtemps relire et méditer. Eric Dazzan, dans son étude au numéro 44 de la revue Friches[[Friches, Cahiers de poésie verte, Le Gravier de Glandon, Saint-Yrieix.]] (automne 1993), puis dans le numéro 49 de la même revue (février 1995), pour son hommage au poète disparu, insistait avec raison sur l’étonnante unité de cette œuvre, toujours centrée « sur la même aire de questionnement », toujours au bord d’un secret confisqué au moment d’être révélé, d’une nuit sous la nuit, d’une lumière sous la lumière.

Dans La cinquième vérité, Rougerie a réuni, outre des inédits, plusieurs poèmes de La vie sauve (paru chez lui en 1970) et la plupart des textes de La main de bronze (Chambelland, 1972), dont les tirages sont maintenant épuisés. L’ouvrage a donc pour premier mérite de placer sous notre regard toute la perspective d’une œuvre marquée par la cohérence et la continuité exemplaires d’une interrogation longtemps angoissée, et dont on ne décidera pas si, en « récompense », une ultime et mystérieuse réponse lui fut donnée dans l’échappée finale de La vie en gage. Ce dernier livre, en effet, même si l’on sait que d’autres textes doivent encore être publiés, notamment chez Rougerie, semble un aboutissement où parfois même poindra sous les paroles une promesse toute neuve, sa lumière venue de loin, déjà bruissante de sources, de secrets.

On mesure de même le « parcours », dans l’œuvre de Gabriel, de la figure fondamentale de la Nuit, personne centrale de sa poésie ; un des textes les plus forts de La main de bronze (Mauvais sort), repris dans La cinquième vérité, débute ainsi :

Certains soirs, le monde renie sa lumière, le ciel se vide de ses astres. Et ce que nous appelions la nuit fait place à cette chose qui n’a plus de nom, hideuse au delà de l’horreur, à cette voix sans voix, nuit même de la nuit, qui hurle en nous notre propre terreur.

Cette nuit dans l’homme ouvre tous les vertiges, qui n’est pas sans rappeler même la « Seconde Mort » de certaines théologies, et Gabriel ne pouvait aller plus loin : dans toute sa poésie ultérieure, il devrait garder cette nuit/ En nous plus noire encore et qui frissonne en nous et nous/ Saisit, alors que l’aube à venir s’interroge/ Au seuil de ce qui n’a pas de nom[[Lumière natale, Rougerie, 1979.]] ; le poète resterait jour après jour/ Au bord de l’indicible nuit[[La nuit venue, Rougerie, 1992.]] ; enfin, dans La vie en gage, le schème d’origine (voix sans voix, nuit même de la nuit), toujours présent et parfaitement reconnaissable, irait jusqu’à se transfigurer d’horreur en bonheur :

Il vient parfois un instant de la nuit où la nuit même se tait […]

Il semble alors que le temps se retienne de sourdre et que tout, à nouveau, soit proche et frémissant dans le bonheur d’attendre.

Au delà de la nuit, de l’horrible et familière nuit, au delà de l’interrogation panique dont le symbole est cette main, ce heurtoir de bronze à la porte silencieuse (votre main ne peut plus lâcher la main coupée qui cogne à votre place, c’est votre propre main clouée vivante sur la porte), après toute une vie à piéger le silence, à ne guetter qu’une ombre, un mot sans cesse refusé, on ne peut demander que cette vérité vraie, une cinquième vérité. Le poète, en effet, semble n’avoir pu vivre que dans la recherche incessante de son arpent d’éternité. Il y avait, pour lui, ce double mouvement :

 d’abord sa conscience aiguë et douloureuse de la solitude et du transitoire d’une âme dans l’intervalle de ses deux morts ; ainsi dans l’extraordinaire poème Au bord du puits :

Vite. Quelque chose est tombé ! À la margelle, tu te penches. Un frôlement dans le puits d’ombre, une abeille d’écume aspirée par la nuit.[…]

– Non, c’est ma vie qui vient de choir ! C’est mon âme en suspens entre ses deux éternités, mon âme, justement, cette parcelle de silence par un autre silence engloutie.

 ensuite, le sentiment qu’une inépuisable lumière existe, dont notre vie n’est que le simulacre indigne (ah ! trop aveugles, consentir à plus haute lumière, nous périssons d’avoir donné le nom de jour à nos ténèbres), et quand « la lampe », « éphémère », s’éteint : Encore un pas, dit le poète. Vers quelle autre lumière ?

Les références aux Ecritures sont rares dans ces livres de Pierre Gabriel, mais comment douter que, même allusives, elles n’aient valeur de signe « épiphanique » ? Même si c’est pour constater que nous l’avons tarie en nous, il fait mention de la fontaine de Siloé ; surtout, il intitule Emmaüs le dernier poème de La cinquième vérité, même si les hypothétiques reflets d’un « corps glorieux » n’y délivrent que des lueurs fugitives dans une paix de ténèbre :

Quelqu’un marchait derrière moi.[…]

L’ombre m’avait rejoint sans bruit. Je faisais face, et la vie revenait tout bas s’inscrire entre les branches, pour le sursis d’un songe, le temps que brasille une étoile.

La prudence s’impose donc dans l’interprétation, d’autant que le poète de La vie en gage interdit lui-même d’assener les certitudes :

Celui-ci n’aura de cesse de proférer l’imprononçable vérité

Et tu feindras de lui prêter l’oreille, masquant sous cet ennui qui tremble au fond de ton regard ton impatience d’être.

Mais ce qui va se déchirer en toi t’écrasera de son silence.

Il te faudra revenir sur tes pas – vers quelle parole perdue ?

Laissant – mais entre quelles mains ? – ton espoir en caution et ta vie même en gage.

Aussi aurons-nous garde de prendre cette œuvre pour autre chose qu’une immense contrée d’espoir, une obscurité fertile, tout à coup plus urgentes que notre vie même, pour nous faire naître enfin ce chant lumineux qui n’a nul besoin de paroles.

©Paul Farellier

(Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 2, 1995)

LES FORGES D’ABEL, Gilles Lades, Prix Antonin Artaud 1994 (La Bartavelle, Charlieu, 1993) ; LE CAUSSE ET LA RIVIÈRE, Gilles Lades (L’Arrière-Pays, Auch, 1994).

Voici le poète de la terre, d’une terre solaire hérissée de rocailles. Voici la poésie du chemin difficile et heurté, chemin contremont[[Le chemin contremont, Hautécriture, Les Bordes, Nouaillé, 1990.]] , lente et patiente élévation sur la pente adverse, peu à peu conquise au cœur de l’homme.

Abel, le poète, s’avoue d’abord ce dessaisi au ciel sidéré, au pays réduit/ à ses tables de roche/ arbres venus si hauts pour rien. Il serait même condamné à vivre bientôt sans la mémoire si le chemin qui vient mal n’est pas/ forcé dans l’argile brillante et froide. Pour lui, règne le temps de la peur à tables désertées/ à pays désappris. Là, toute reconquête ne lui est possible qu’au prix d’une très attentive et soigneuse ascèse qui le cerne philosophiquement et lui impose, avec tant de beauté mais sans complaisance, de se définir ainsi :

Poète
minutieux tueur de soi
toujours à l’œuvre dans une mi-pente
la pioche perçant faux
les plus radieux miroirs d’argile

Peu à peu cependant, se desserre l’étreinte, s’éclaire le chemin, se fluidifie le discours : Le mystère a reculé […] il tient à fresque ce gué de haute enfance, sous le tendre regard venu de partout, hors péril, dans le lustre intact d’oiseaux et d’osiers. Avec les lumineux poèmes où se clôt la première partie des forges d’Abel, le dessaisi achève son périple intérieur : du nouveau chant, il sait maintenant qu’il faudra obéir à ses anges rares ; il se fait joie de replacer au bel angle du ciel/ la chambre de glaise/ première saison du poème. À l’errance angoissée qui ouvrait le livre, succède un regard d’apaisement, de confiance :

un sentier suffit
un appel pousse vers un début de fleur
………………………………………..
rien ne retient
tout
reviendra dans les mains
ombre et soleil
hasards
pour notre enfant silence
en juste lumière

Place est maintenant faite au Semainier, qui constitue, dans sa fascinante rugosité chaotique, la seconde partie du livre. On n’éprouve plus ici le mouvement ascendant, la dure montée du dessaisi : parvenu sur les hauteurs arides du Causse, nous semble vouloir s’y tenir et s’y perpétuer le poème raviné d’évidences. Ainsi, tout au long du Semainier, continuent d’affleurer les pierres qui restent, comme le mot/ abrasif. Une intense dureté des choses dans la lumière s’oppose avec constance au projet sensible de l’homme (La prière débouche là-haut contre les pierres). À lui de franchir le vent séché/ l’immense vide mérité/ le rêve absent ; à lui de rechercher inlassablement ses restes d’enfance, enfouis au plus profond, dans ses racines pétrifiées :

Il fallait retrouver la cabane
trancher quelques branches
essarter le fouillis douloureux des arbustes
……………………………………………..
comme en un jardin pour enfants morts
et ne se relever que les reins brûlés
la face mangée par trente ans de tout vent

Comme en finale du dessaisi, c’est une délivrance qui fera l’aboutissement du livre : le poète s’est attablé au soir ; nous le voyons, coude, reins, nuque/ à la table de force/ pieds d’ombre vin d’effluves. Cette fois, Abel a surmonté l’opaque adversité :

Du fond du corps la fleur sensible à tout
se reforme dans la voix faible et la peur

Celui qui fait figure de tendre prévaut enfin contre la pierre sans mémoire, comme un oiseau lié sur les toits/ chante son arbre à démesure/ délivré de la roche/ par un nid de tremblantes racines.

Un livre comme Les forges d’Abel pourrait être vu comme un itinéraire personnel – ce qu’il est pour partie sans doute –, mais aussi et surtout comme la relation poétique d’une lutte universelle, souvent figée, où le cri s’est fait pierre, un affrontement géologique, une centauromachie de roche et de vent, une guerre que l’homme conduit en lui-même comme sur les hauts-reliefs de ses terres. Or le théâtre du combat, pour Gilles Lades, c’est d’abord son Quercy natal, qui semble avoir façonné toute sa sensibilité. À des paysages dont l’empreinte marque aussi d’autres livres-clés, tels Le chemin contremont, déjà cité, ou Fonderie[[Fonderie, Cahiers de poésie verte, Le Gravier de Glandon, Saint-Yrieix, 1991.]], Gilles Lades consacre maintenant un recueil, Le Causse et la Rivière, aux excellentes éditions de l’Arrière-Pays. Le Causse, aride ; la Rivière, fertile.

Bien des poèmes de cet album (un pour chaque canton du département du Lot !) ont été « peints sur le motif », comme l’explique l’auteur lui-même. Cela donne un livre délicieux ; sûrement le meilleur « guide », en profondeur, pour aller découvrir « physiquement » cette vieille province ; mais plus sûrement encore, et en dehors de tout usage touristique ou « culturel », un merveilleux cheminement dans l’imaginaire : quelque chose pour faire qu’un pays existe définitivement dans l’âme, comme la Drôme de Jaccottet, le Gâtinais de La Tour du Pin ou le Valois de Nerval. Enfin par-dessus tout, puisqu’il s’agissait de peinture, une parfaite délicatesse de touche :

le temps d’un silence
exactement pesé par ciel et mousse

ou encore, au hasard, car les exemples abondent, que nous pouvons promettre au lecteur :

puis s’effacent avec un léger bruit d’ombre
un bord de plateau
quelques murs doucement jointifs

©Paul Farellier

(Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 2, 1995)

LA SAGESSE ARTISTE, Jean Granier (Les Editions du Cerf, Paris)

Il n’est pas si fréquent que la chronique « littéraire » ose aborder les écrits du philosophe. Elle le doit quand celui-ci risque lui-même sa pensée « en poésie », rendant ainsi manifeste au poète leur communauté de destin. L’important, c’est alors, au delà même des sentences éblouies, ce qu’elles permettent d’apercevoir, pour l’atteindre en Ailleurs ; c’est leur intense « consanguinité » avec les devenirs poétiques, ce en quoi leur sagesse mérite d’être appelée artiste. Aussi les fervents et les magnanimes, à qui Jean Granier dédie son dernier livre, trouveront-ils dans ces pages ardentes et salvatrices le vrai lieu de leur lucidité. Nul doute que, pour tout esprit libre et créateur, la rencontre d’une telle œuvre doive être comptée comme une chance ; voici en effet que, délaissant pour un temps l’appareil des concepts, un authentique philosophe – et non un estimable ingénieur de la philosophie – vient traiter de l’expérience commune avec les mots de tous : une haute pensée, forgée au long d’une existence consacrée au « service de la vérité » (« le plus dur service », selon Nietzsche), se met à la portée de la vie simplement naïve, en prenant modèle sur l’art et sur la poésie.

Le héros de ce livre est celui que Jean Granier appelle l’En-dehors. Qu’est-ce qu’un En-dehors, que l’auteur voudrait nous enseigner à devenir ? Est-ce un moi frileusement recroquevillé dans l’abri dogmatique de certitudes figées ? Un homme qu’isole son mépris ou son indifférence ? Un tel individu n’aurait que peu de points communs avec le poète ou l’artiste vrais. Mais justement, l’En-dehors est l’opposé de tout cela, et Granier nous l’a déjà dépeint sous ses traits véritables en concluant son précédent ouvrage, L’Intelligence métaphysique :

S’il est indifférent au succès et à l’échec, parce qu’il veut d’abord être le constructeur de soi-même, et non le manipulateur des autres, il est ardemment présent au monde, parce qu’il met sa ferveur dans chaque parole, chaque émotion, chaque initiative. La beauté est le thème de ses liturgies métaphysiques.[[L’Intelligence métaphysique, Les Éditions du Cerf, Paris, 1987.]]

L’En-dehors apparaît ainsi comme un frère pour le poète et, s’il s’est délibérément placé hors du système des valeurs dégradées et des fausses valeurs dont la mentalité ordinaire « modélise » un bonheur de mensonge, sa présence au monde reste entière et passionnée. Il est au monde, est dans le monde, mais, du seul fait qu’il voit le monde tel qu’il est, prouve qu’il n’est pas lui-même de ce monde, comme en tout procès l’on ne peut être à la fois juge et partie. Or, sous son regard, le monde est bien ce qui doit être jugé. Il constate impitoyablement la perversité du monde que révèlent les trois phénomènes du mélange (du bien et du mal), du mensonge et de la banalisation. Il importe donc à chacun, tout en accomplissant son parcours et sa tâche dans le monde, d’en refuser l’asservissement, ce que seule peut permettre une visée d’absolu :

On est voué aux ténèbres tant que l’on n’a pas compris ces deux vérités, qu’il faut tenir ensemble d’un poing ferme : le monde est une imposture, mais celle-ci ne peut être que dénoncée, non supprimée. Car elle consiste en une usurpation des valeurs qui sont l’âme de la vie authentique et seraient anéanties par la violence nécessaire à la destruction de l’usurpateur. Le monde doit donc être démasqué, non fracassé. La victoire absolue excède les forces humaines ; elle relève de la puissance divine ; car dissocier le néant de l’être est du même ordre que tirer l’être du néant.

En ce monde le vainqueur, à l’échelle humaine bien entendu, ne peut être que l’En-dehors, puisqu’il refuse les violences du Titan et ne compte que sur la vertu du retrait, par quoi la lucidité triomphe, avec la liberté du sage.

Le monde étant jugé, les mensonges de la modernité doivent aussi être dénoncés : bonheur de masse, médiocratie, fourvoiement de la science, dégénérescence de la culture, dévoiement de la démocratie, trahison du socialisme en nihilisme de masse. Granier aventure même une réflexion sur les moyens concrets de subvertir la modernité. Mais on aura deviné, malgré ce vœu d’une légitime défense, que l’En-dehors, peu doué pour la praxis sociale, n’accorde qu’un mince crédit aux chances de l’emporter sur le système ; aussi doit-il envisager ce qu’il appelle le recours ultime : l’édification des monastères de l’esprit où nous mettrons à l’abri des fureurs nihilistes non seulement la civilisation, mais son principe – la grandeur humaine !

La dureté, l’âpreté de ces premiers chapitres (Le monde jugé ; La modernité : une histoire de fous) créent le climat nécessaire au Grand Refus, la sorte de catharsis qui, à son tour, permet à une pensée ascendante de quitter les régions du doute pour gagner celles des certitudes, au delà du monde, dans la métaphysique.

Carrière est ouverte pour une nouvelle sagesse : celle-ci faite, grâce à l’intelligence métaphysique, à la fois d’adhésion fervente à la vie et du recul nécessaire pour interpréter la vie selon sa juste mesure : celle d’un absolu mélangé au relatif. […] La dernière leçon de la sagesse sera donc de consentir à son échec dans le monde, à la relativité des vertus qu’elle inspire […] La sagesse graniérienne, on le voit, n’a rien à faire d’une vérité décrétée par la pensée : […] la vérité dernière de l’homme n’est pas du ressort de la pensée, elle est enfouie au plus intime du cœur, là où se prennent les choix pour ou contre le salut, qui dépend uniquement du sacrifice à un au-delà de la vie humaine […]

C’est pourquoi Jean Granier préfère, plutôt qu’aux purs exercices de la raison, recourir aux trois indices de l’absolu dans le monde, que sont l’intelligence, l’amour et la mort : l’intelligence, notre passeport métaphysique ; l’amour, le magicien par excellence (N’écoutez donc pas les philosophes lorsqu’ils se déclarent épris de la seule vérité ! Car dans cette vérité même c’est aussi l’amour qu’ils cherchent, ou regrettent…) ; la mort, car c’est l’attitude en face d’elle qui, rendant superflue l’alternative pessimisme/ optimisme, exprime le plus authentiquement la vérité sur la vie. (La grandeur de la mort : chacun n’y pèse plus que son poids de vérité.) À partir de tels indices, seul compte l’absolu. Le sage ne conseille donc pas nécessairement la prudence ; celle-ci n’est justifiée que si elle ouvre à une forme d’accomplissement supérieure et non à la tranquillité du petit rentier de l’existence ! À l’inverse, on ne trahirait point une vocation d’En-dehors à choisir, contre la prudence, une vie de corsaire, dans les orages et les tempêtes./ L’essentiel, c’est de ne pas être un recalé de l’absolu.

Dans l’art seul, et en cultivant les motivations du désir, parviendra à se manifester la part de vérité de l’existence humaine : tel est l’enseignement des deux chapitres centraux de l’ouvrage (Les constellations de l’imaginaire ; L’amour à l’occitane) :

La sagesse ne consiste pas à modérer ses désirs, mais à ne compter que modérément sur la réalité pour les satisfaire. Lorsqu’on attend peu du monde on change l’orientation des désirs, et l’on obtient le meilleur – des jouissances d’art !

[…]

En ce monde, seul l’art est bon inconditionnellement. Parce que l’art efface, jusque dans les fibres les plus délicates de notre sensibilité, la déchéance du monde.

Quant à l’amour, sensualité devenue poème en ce qu’il révèle le merveilleux, prisonnier en chaque être, il n’est véridique que par l’espérance métaphysique, comme reflet d’une vertu surnaturelle. Et, parce qu’il est en recherche permanente de notre amie la vérité, c’est encore l’amour qui accomplit la vie humaine dans la philosophie, l’activité humaine par excellence. Quand l’homme s’adonne à la philosophie, il se donne à soi, il accomplit sa singularité dans l’universalité./ La philosophie est l’amour qui pense. Paroles qui, à certains, paraîtront dictées par l’expérience poétique…

Ce livre de sagesse ne peut évidemment se réduire aux quelques lumières que nous avons tenté de refléter. On y trouvera d’ailleurs, outre l’approfondissement indispensable des thèmes évoqués dans cette chronique, les vues les plus pénétrantes vers d’autres horizons, notamment le politique et le religieux ; mais surtout, cette lecture nous rend intensément disponibles pour une perspective de salut, en nous aidant à porter le regard de l’intelligence sur le versant de l’âme : Non, nous ne nous sommes pas fourvoyés en naissant au monde, car chaque être doit y entrer afin d’apprendre à devenir ce qu’il est. Notre existence dans le temps ensemence notre être absolu.

L’assimilation de la pratique artiste enseignée ici, et que seul pouvait offrir un tel philosophe, ne nécessite nullement la référence à ses recherches spéculatives, pas plus qu’elle n’impose, à l’évidence, d’avoir eu la connaissance factuelle de son destin – on le devine pourtant meurtri par, comme il dit, le terrible qui donne, mais si riche en désir sur l’abîme, et il confère à ces aphorismes leur assise et leur autorité existentielles – ; mais il est clair, à l’inverse, qu’une fréquentation de la philosophie de l’Intégral ne pourra qu’aider à repérer des enjeux, pénétrer un sens, admirer une exemplaire fidélité.[[Outre L’Intelligence métaphysique, déjà cité, on lira Le Discours du monde, Éditions du Seuil, Paris, 1977, Penser la praxis, P.U.F., Paris, 1980, et Le Désir du moi, P.U.F., Paris, 1983.]]

Fidèle encore, Jean Granier le reste puisqu’on annonce, de lui, aux mêmes éditions, la parution prochaine d’une philosophie de l’art sous le titre Art et vérité. Rien ne saurait mieux séduire hommes et femmes de poésie, venant d’un auteur qui propose l’excès lyrique et la nostalgie du lointain.

©Paul Farellier

(Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 1-2, 1997)