Pierre DHAINAUT/ Sur le vif prodigue, dessins de Grégory Masurovsky (L’Abreuvoir/ Éditions des Vanneaux, 2008 ; 70 pages, 12 €)

Le nouveau livre de Pierre Dhainaut, bellement illustré par Grégory Masurovsky, recourt à un vers proche de la prose qui appréhende généreusement une pensée développée par le poète avec cette générosité de cœur que l’on constate chez lui, de livre en livre. Saluer le vif, c’est saluer la charpente et l’écorce, l’os et la chair. Et Pierre Dhainaut alimente le secret du « dire » avec ses formules « au plus près » d’une poésie brillante dans laquelle s’implante un quotidien chargé des multiples attraits de l’existence d’un homme ordinaire qui possède le don de transformer la réalité. Voici que surgissent les vents – de plus loin que la mer, – ils ont déchiré l’horizon, – de ride en ride ils prennent le visage – pour du sable à morte-eau. Cette poésie sied à Pierre Dhainaut. Elle fait partie d’un tout qui accorde au Nord, cher au poète, les vertus de l’existence même, ce « vif prodigue » qu’il célèbre avec grand bonheur dans cet ouvrage. Les illustrations de Grégory Masurovsky ouvrent de larges baies sur la poésie de Pierre Dhainaut et ses compositions n’accompagnent pas les poèmes mais leur offrent les terrains sablonneux sur lesquels le poète s’engage avec volupté, dans la plénitude de son art. Confiance aux mains quand les regards défaillent, – elles ont peur autant qu’elles espèrent, – elles avancent : l’espace au bout des doigts.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Pierre DHAINAUT : Levées d’empreinte (Arfuyen), 90 pages – 12 €

Depuis lecture de Bulletin d’enneigement (Sud – 1974) et notre commune admiration pour Raymond Roussel, j’ai suivi, avec l’intérêt que l’on imagine, la publication de ses multiples ouvrages durant plus de 30 ans. L’œuvre de Pierre Dhainaut, fluide, étale, limpide, égale à elle-même et toujours différente, s’inscrit dans une préhension immédiate de la réalité, mais une réalité exacerbée où les mots, choisis, désignés, cernés, désirés, expriment la douleur sans jamais la célébrer. La dramaturgie qui se fait jour dans les divers recueils publiés n’est perceptible qu’au travers d’images la plupart du temps paisibles et situées dans un contexte de vastitude éclairée où le Nord occupe une place de choix.

Il faudrait parler d’élégance pour situer la poésie de Pierre Dhainaut. D’élégance et de lenteur. Il existe quelque chose de définitif, d’apaisé, d’essentiel dans les vers qu’il nous offre, et c’est chaque fois la ligne d’horizon qui limite les actes des individus. Mais il nous laisse surtout deviner le voyage au-delà du regard.

« Terre sèche, terre blanche, le ciel dévore ses oiseaux / en haut du promontoire : les mains en se crispant / ne font qu’ériger des murs insatiables. / Aucune aide autre part. Au raz de l’herbe / tous les jours, à toute heure, la tempête est chez elle… ».

Levées d’empreintes appartient à ce que Pierre Dhainaut a de plus précieux : le dialogue avec l’Autre, cet Autre qui tente de réconcilier les ennemis, d’allonger la plage, la page, de dénoncer l’intolérance.

L’œuvre de Pierre Dhainaut s’articule autour d’un vaste réseau où le poème s’inscrit en lettres de feu et où, « d’une syllabe inattendue », il sculpte le charme de la vie, le sauvage du temps jusqu’à l’apprivoisement des rives et des mots.

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Pierre DHAINAUT : MISE EN ARBRE D’ÉCHOS (Ed. Motus)

Du début à la fin de MISE EN ARBRE D’ÉCHOS, Pierre DHAINAUT tient son souffle. Ni forcené ni métronome. Mais une variation vitale, modulée, sur une longue laisse de poèmes voisinant sans formalisme avec le haïku. Et nous nous mettons en marche, dans le corps cosmique et spirituel du monde:

« que le point se desserre / le vent le remercie / le vent du large ».

La ligne de crête de Pierre DHAINAUT est la cime de l’attention: une morale de l’instant. L’homme doit mériter d’être l’égal du monde, et les éléments accepteront de l’initier:

« confiance aux braises / ne crains pas / de manquer de souffle ».

Ce sont les aventures de la transparence : l’air, la neige, la mer, le visage, ces mues de l’élan résolu qui ne laisse pas de traces. Mais dans ces pages résonne aussi un appel, auquel répond depuis toujours

« l’oreille en alarme / et le cœur paisible ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 38, printemps 1992.

Pierre DHAINAUT: Au-dehors, le secret (Voix d’Encre, 16 €).

S’interroger sur la poésie, sur des poètes et des peintres proches, sur les enfants, telle se présente la démarche de Pierre Dhainaut dans ce livre qui complète ce que l’on savait déjà du poète, attentif aux êtres comme aux paysages, à la réalité. Ici nulle propension à la théorie, mais un regard lucide, des réflexions qui éclairent l’œuvre poétique, qui permettent de constater qu’entre ces fragments et les poèmes existe une réciprocité sans faille. A lire ce qu’écrit ici Pierre Dhainaut sur la poésie, sur le travail qu’elle nécessite, se dévoile sa générosité, en même temps que transparaissent sa modestie, son humilité. Il suffit de glaner quelques propos pour se convaincre que la poésie est un acte exigeant, que nous lui devons tout: «Du poème espérer un miracle et ne lui attribuer aucun privilège», écrit Pierre Dhainaut. Car pour lui, le poème n’est pas l’unique moyen d’avoir prise sur le monde, il a une épaisseur physique et c’est peu à peu que l’on entre dans son univers qui l’incite à dialoguer avec le réel. Pierre Dhainaut déclare: «Un poète livre assurément le meilleur de lui-même avec le don du poème, lorsqu’il sait enfin que sur le poème le don l’emporte.» D’où cette sensation d’abandon du poème à sa légèreté, à sa liberté, à son caractère éphémère: «le poème, lui, n’est que l’empreinte d’un battement d’ailes, dans l’air, dans l’air libre», définition qu’un sage oriental n’aurait pas désavouée. A ce regard sur la poésie s’ajoute cet autre qu’il porte sur les paysages familiers du Nord sans cesse fréquentés, comme le pays des Moëres d’abord connu par le livre de Jean Laude: Les Plages de Thulé, ou le Cap Blanc avec lequel Pierre Dhainaut prend conscience du temps, sent affluer «la nostalgie».

Sur les poètes, Pierre Dhainaut fait part de ses réflexions: Kenneth White, Jean-Claude Renard et Jean Malrieu dont il fut très proche, mais aussi sur des peintres. Ainsi c’est à de Staël qu’il consacre le plus. Staël dont Pierre Dhainaut aime la lumière qui auréole ses tableaux et dont l’œuvre «n’a rien de désespéré», malgré la tragique fin de l’artiste. De même il voit dans les aquarelles de Manessier réalisées dans la baie de Somme le monde «rayonner».

Quant à ses petits-enfants, Pierre Dhainaut leur voue une infinie tendresse et il évoque leur émerveillement en face du monde, en face des mots, ces enfants qui sont pour lui une occasion de saisir l’instant lorsqu’il écrit si justement: «nous devons pour eux, avec eux, consentir au temps, saisir l’instant irremplaçable.»

Carnet de bord d’un poète, d’un homme qui ne s’affranchit jamais de la réalité, qui exprime avec émotion, sincérité son intériorité, Au-dehors, le secret dit la confiance que Pierre Dhainaut entretient dans la vision poétique du monde auquel les mots redonnent son sens, en justifient la présence.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Europe, août-septembre 2005, n° 916-917)

PIERRE DHAINAUT : Paroles dans l’approche (L’Arrière-Pays, Auch – 1997)

Paroles dans l’approche : il y a derrière ce titre, simple et médité, beaucoup de la pensée du livre. La parole de Pierre Dhainaut, d’une intériorité qui n’est en rien clôture ni repliement sur soi, au contraire nous la sentons avant tout tributaire des êtres et des « choses », dont elle ne cesse de nous enseigner le chemin et, justement, l’approche :

Nous pencher sur le sable à marée basse
et ralentir et suivre pas à pas ces lignes sinueuses,
ces taches grises, entre les détritus de toutes sortes
où l’écume a séché, est-ce une limite
que montre la mer ? Ce qu’a écrit la vague imprévisible,
à nous de l’épeler.
[…]

Donc, un devoir de déchiffrage, étayé par la foi dans les pouvoirs du langage (Rien ne nous manque,/ rien ne semble étranger pour la langue attentive/ qui réunit le large à la mémoire/ et le mystère à la respiration d’une heure matinale) et surtout par cette faculté d’empathie, plutôt rare chez les poètes, par laquelle l’observation de l’autre se fait intellection profonde, devient vie en autrui. Ainsi, parfois, le regard s’est-il posé sur les vieillards (Ils n’obtiennent de paix qu’en leurs yeux clos,/ leur aube est si étroite) et, le plus souvent, sur le très jeune enfant : celle-ci, rieuse de fouler le craquement des feuilles mortes dans ce matin consacré à la lumière, ou encore sans retard à l’unisson de ce qui vient, quand elle s’apprête à découvrir l’arrivée de la neige, qu’elle ne connaît pas encore ; et ceux-ci, livrés à la nuit et à ses frayeurs, et retrouvés immobiles, debout/ à l’avant du berceau […] la peur en eux plus ferme que la nôtre,/ nous les aidons si peu/ à reprendre souffle et si peu de temps. Et ceux-là encore, d’un autrefois lointain, qu’enfante le souvenir de leur chant dans le si beau poème d’une futaie :

[…] sous les arbres
où les oiseaux commandent aux lumières,

[…]
serions-nous essoufflés une journée complète
à nous tenir à hauteur de leurs lèvres,
nous quitterons très tard la forêt parturiente.

La parole, tout au long de ce recueil, n’est pas moins attentive à tous les jeux des éléments et du paysage, au vent, aux goélands, à l’alouette, aux hirondelles quand elles partent/ comme les enfants dans leurs rondes/ aux cris infatigables. Ce livre est à lire sans faute, et à garder tout près de soi pour y revenir souvent, les richesses ne pouvant s’en découvrir que peu à peu, dans la lenteur de l’approche.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Le Cri d’Os, n° 21/22, 1er semestre 1998, p. 132)