Jean-Luc MAXENCE / Elisabeth VIEL : Anthologie de la Poésie Maçonnique et Symbolique (2007, Dervy – 204, boulevard Raspail – 75014 Paris, 23.50 €)

Je ne saurais dire si cette anthologie suscitera polémiques et commentaires, comme s’y attend Jean-Luc Maxence. Par contre, un fait est certain, c’est qu’il s’agit du premier travail du genre, fort réussi, et certainement exhaustif. Nous retrouvons, au sein de ce panorama, plus de deux cents poètes et chansonniers, francs-maçons ou proches de la franc-maçonnerie, de Voltaire à Francesca Caroutch, en passant par Nerval, Baudelaire, Bruant, Mallarmé, Pierre Dac, André Breton, Henein, Milosz, Dauphin ou Taurand ; quatre cents poèmes sur près de trois siècles ; le tout en 523 pages. Tous les poètes de cette anthologie sont-ils maçons ? Non, bien sûr, mais leur évidente relation au symbole suffit à les y voir figurer. Maçonnerie et poésie sont porteuses de rêve, écrit Jean-François Pluviaud, en postface, c’est que : « L’une et l’autre sont une voie d’accès à une réalité différente, une nouvelle perception de l’univers, une découverte de soi. L’une et l’autre sont un révélateur, permettant la mise au jour d’un modèle d’absolu, enfoui au plus profond de chacun d’entre nous, elles sont un moyen d’appréhender le monde. »

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

On s’embrasse pas ?, Michel Monnereau, éd. La Table Ronde.

Avec son précédent roman, Carnets de déroute (même éditeur, 2006), Michel Monnereau a obtenu le « Prix du premier roman de Draveil » et le « Prix des lecteurs Atout Sud ». Excellents débuts pour un poète reconverti dans la narration en faisant un arrêt remarqué par l’humour (voir ses Zhumoristiques, Gros Textes, 2006) et autres ouvrages pour la jeunesse.

On s’embrasse pas ?, écrit comme Carnets de déroute à la première personne, raconte l’histoire de Bernard, un homme dans la quarantaine, débarquant dans ce qui lui reste de famille après des années de vagabondage à travers le monde et perturbant singulièrement la vie paisible de ces braves gens, à commencer par sa sœur, son beau-frère et leurs deux filles (dont l’une succombera au charme de l’arrivant). Il retrouve également sa mère qui ne le reconnaît pas de prime abord et le rend responsable de la mort de son père…

Ainsi débute ce roman qui serait cruel et pathétique si la griffe de Michel Monnereau n’était teintée de cet humour corrosif qui donne à son propos cette qualité d’écriture où les images fusent et où les réparties cinglantes provoquent le sourire, voire parfois le rire. « Il pleuvait toujours, et je n’aime pas la pluie quand elle s’acharne sur moi ; ça ne me dérange pas qu’elle tombe sur les autres, d’ailleurs ils projettent des parapluies tout à fait adaptés ». Bernard, anarchiste et provocateur, par sa seule présence, apporte ce parfum de « l’ailleurs » qui perturbe les uns et contraint les autres à envisager une existence différente de celle tracée de toute éternité. C’est l’histoire du vilain petit canard et du loup dans la bergerie.

À la fois désinvolte et hautain, Bernard est l’âme damnée d’une famille, un agitateur-né, capable d’assister à la mort de sa mère sans faire preuve de la moindre émotion.

Par le biais de ce héros en négatif, Michel Monnereau fait preuve, une fois de plus, d’un incontestable talent de romancier qui s’affirme à chaque page de cet ouvrage, démontant un à un les mécanismes d’une société dans laquelle chacun possède les cartes de sa propre destinée.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 352, septembre 2007

Jean MALRIEU: Libre comme une maison en flammes, œuvre poétique 1935-1976, (Le Cherche Midi, 25 €).

«S’il fallait d’une expression résumer l’œuvre de Jean Malrieu ou plutôt son œuvre et sa vie intimement mêlées, inséparables, je citerais le titre du premier livre qu’il a publié, en 1953, Préface à l’amour», écrit Pierre Dhainaut au début de sa préface. Il est vrai que toute l’œuvre de Jean Malrieu ici rééditée est marquée par la présence de l’aimée, Lilette, et de l’amour qu’il lui porte. Aussi dans Préface à l’amour célèbre-t-il la femme grâce à un lyrisme fervent, source de beauté. Dans cette écriture foisonnante la passion exerce sur le poète une force qu’il ne maîtrise pas, qui emporte le monde avec elle: «Ton nom, c’est le chant de la terre. Les prés sur le dos commencent à hurler. Tout le chant de la mer.» Les recueils suivants continuent de célébrer les pouvoirs de l’amour. Hectares de soleil se nourrit de ce même lyrisme, dit la quête du bonheur, une des constantes dans la poésie de Jean Malrieu, alors même qu’il se définit: «Poème au poing, je me veux incendiaire. / C’est dans le feu qu’il faut porter le feu.» Dans ces textes s’impose une parole exigeante, s’élève un chant ample et soutenu par de multiples images. La femme aimée se métamorphose et Jean Malrieu d’écrire: «Tu deviens ce poème qui se renverse, ouvre sa gorge.» Au fur et à mesure que s’élaborent les autre recueils la voix de Jean Malrieu s’affirme et sa vision s’élargit à l’échelle du monde. Le Nom secret en est un exemple remarquable: la terre s’assimile à la femme aimée: «Je sais que tu es, immense jardin, à la fois corps de la femme, porte du ciel, chemin des neiges.» Si la célébration de l’amour demeure l’essentiel pour Jean Malrieu, ce ne sera jamais l’érotisme qui le conduira: chez lui l’amour est une exigence, une morale, une atteinte à la spiritualité, d’où cette expression à la fois débordante et mesurée dans ses termes. Pourtant au fil du temps, d’autres thèmes viennent s’adjoindre à celui, prépondérant, de l’amour. Dans La Vallée des rois, c’est à l’éloge du pays, celui de Penne-de-Tarn, que se consacre le poète dans des scènes plus intimes. On lit dans ces poèmes la nostalgie d’un temps passé, l’évocation des amis proches: «Où sont ceux que j’aimais ? / Ailleurs et loin de moi, ils regardent d’autres maisons, / Un reste de clarté sur un visage, / L’ombre d’un papillon nocturne.» De même pointe le souvenir de la mère, cela avec «les mots du dénuement, de l’abondance.» Ce regard porté sur la terre, sur l’intime, se retrouve dans Possible imaginaire qui se tourne vers la simplicité, dit la plénitude et la pauvreté d’être, les difficultés autant que la joie: «N’importe où commence le monde. / L’allégresse partage les nuits, les jours.» Quant à ce recueil, Le Plus pauvre héritier, son contenu affirme justement ce que fut Jean Malrieu l’homme, le poète: «Moi, je suis un mendiant, je prends mon pain dans le soleil, apaise ma soif dans le regard.» Et ce sont des conseils qu’il adresse aux autres dans lesquels on retrouve cette éthique en face de l’existence: «N’aime pas. Adore./ Au moins tu vivras au sommet du bond. […] Prend parti. / Crie» alors même qu’il sent la marque du temps peser sur lui, «la mort qui travaille».

Jean Malrieu, poète de l’amour, fut aussi un homme humble qui n’aspira jamais aux honneurs. Il fallait la publication de ce volume pour lui rendre hommage. Lire ou relire ces poèmes permettra de découvrir ce qu’il a légué d’indispensable.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Europe, mai 2005, n° 913)

Voix au-delà des frontières, de Porfirio Mamani Macedo, préface de Jorge Conejo Polar, traduit de l’espagnol (Pérou) par Elisabeth Passedat, L’Harmattan.

En 1991, Porfirio Mamani arrivait à Madrid. Dans ce pays auquel il n’était uni que par la langue, il croyait néanmoins trouver un accueil bienveillant. Il n’en fut rien. Rejeté par la communauté espagnole pour laquelle il n’était qu’un étranger, il mit le cap vers Paris. Toutefois l’expérience espagnole l’a profondément marqué et ce recueil relate la douleur endurée, l’indifférence ou l’hostilité à son égard en même temps qu’il livre également la conception qu’il entretient du monde, de l’existence où l’oubli n’a nulle part, où la parole poétique est sans cesse rappelée. A partir de longs poèmes conçus comme une seule phrase qui traduit l’ampleur de son souffle, Porfirio Mamani Macedo entraîne le lecteur sur le chemin de son errance en pays adverse. Les apostrophes à des éléments concrets ou abstraits comme l’Enigme, élément récurrent et signe essentiel dans sa poésie, disent cette adresse au monde des hommes en forme de supplique. De plus, les redites volontaires, les rappels d’une situation précaire «Des rues qui me désignent le mot: étranger / Des voix, des visages qui me regardent / Je n’emmène rien de personne avec moi» contribuent à renforcer le ton de ces poèmes. En même temps que la relation de cette errance, la pensée de Porfirio Mamani Macedo se tourne vers le souvenir d’une époque révolue, d’une terre natale abandonnée: «Ce sont les yeux de mon Père qui m’attend au Pérou / L’absence de ma Mère qui m’attend quelque part». Car le poète comprend que rien n’est voué à l’oubli, pas davantage que les certitudes sont à la portée de celui qui tente de se livrer à la parole qui va de pair avec le rêve, comme il l’affirme: «En eux j’existe / Avec eux je m’éloigne». Dès lors, en face d’une blessure constante, de ces avanies dont il fait l’objet, Porfirio Mamani Macedo n’aura de cesse de parler, n’hésitant pas à manier le paradoxe qui traduit précisément le désarroi éprouvé, la fragilité qu’est la sienne: «Comment se taire en ayant la parole / et le doute dans la parole ?» car il s’agit bien d’une volonté de ne rien laisser échapper, même si l’incrédulité anime le poète, si sa quête ne peut se résoudre par une affirmation quelconque. Aussi les interrogations sont-elles nombreuses et les réponses absentes. Lorsque Porfirio Mamani Macedo connaît pour la seconde fois l’exil, en arrivant à Paris, ce sont les mêmes doutes qu’il continue d’exprimer ce qui, toutefois, n’efface pas chez lui la promesse d’un espoir enracinée en lui, ce qu’il exprime dans l’Epilogue par ces mots: «Un jour nous serons tout ce dont nous avons rêvé». Livre d’une sobriété exemplaire, à l’écriture lyrique d’une belle pudeur, Voix au-delà des frontières est à la fois le récit d’une errance douloureuse et la mise en place d’une poétique habitée par la foi dans la parole.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Autre Sud, n° 24, mars 2004)

Mahamoud M’SAIDIE : L’Odeur du coma (éd. Librairie-Galerie Racine – 2005, 12 €)

La langue somptueuse de l’auteur de Mur du Calvaire (publié en 2001 par L’Harmattan) est celle de son rêve intérieur qui prend sa source à M’dé Bambao, aux îles Comores, là : « …où les miroirs d’eau continuent à nourrir les enfants de leurs reflets… ». Ce recueil, en deux actes : LUI, ELLE, yin et yang soudés, est un voyage scandé par les allers et retours entre la terre nourricière, celle des rites millénaires, et la terre d’adoption, celle de l’exil. Entre les deux, M’Saidie connaît ‘l’odeur du coma’ : « Il y a longtemps que j’ai appris à me baigner dans le liquide amniotique du sommeil… », qui est devenu son troisième élément – apesanteur poétique et salvatrice – état créatif où ses yeux sont tournés vers l’intérieur, face au kaléidoscope où se déploient la féerie des souvenirs et des ‘ombres étranges’ – archétypes de sa culture insulaire : « C’est depuis mille ans que je suis en contact avec des ombres étranges (…) Elle n’est pas ma muse mais ma tempête celle qui bouscule mes veines et réclame les chants de mes fibres intimes… ». Le principal mérite de ce livre est de nous donner à vivre une langue qui se fond dans les images exotiques les plus colorées, les plus épicées, les plus parfumées. Cette langue intègre tous les sucs de la Terre natale du poète, elle lui est verbe consubstantiel et le recrée ; elle transfigure, transmute et transcende la matière souvent rugueuse d’une réalité où les tensions et les conflits, on le sait, font partie du quotidien : « Il retrouve son souffle de naissance et son lait dans la profondeur des mers même les plus décharnées / Il a la carapace ruisselant d’odeurs salées des lisières et la ligne dorée des horizons suaves / Il dit que sa vertèbre est faite du bruit musical des algues et des mascarets » ou : « Dis-lui que j’ai des champs de parfums des aurores de miel qui versent leurs filets sur mon alcôve / J’ai des airs de balafon et des mélodies riches en fibres qui bercent la fureur des cailloux / J’ai la bénédiction de la magie que je conserve dans mon poing fermé… » Cette grande et vitale complicité avec les forces telluriques de son île originelle a fécondé la langue métaphorique du poète qui nous en livre ici tous les chatoiements et toutes les saveurs subéquatoriales : « Les algues devenaient de plus en plus exquises sous l’onde magnifiée par les radars du ciel (…) Ces algues étaient mes amies d’enfance celles qui m’entraînaient dans les abysses quand le soleil de midi fleurissait la mer d’Iconi… ». On aimerait citer et citer encore des passages de cette œuvre qui est une oasis de délectation dans la sèche grisaille de la poésie cérébrale du moment. Ce miracle tient probablement au fait que Mahamoud M’Saidie «…tient à survivre pour pouvoir vous apporter l’air onctueux de la terre et le minerai d’amour ».

©Jacques Taurand

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 21, premier semestre 2006)

Pierrette MICHELOUD, Du fuseau fileur de lin (Éd. Monographic, CH-3960 Sierre, Suisse, 2004 ; 96 p., p.n.i.)

On ouvre ce livre comme une fenêtre au printemps. Voici que, tout à coup, l’humain aurait retrouvé, même dans sa douleur, comme une sève d’enfance, de longtemps oubliée. Une voix claire nous aurait soudain transportés dans une de ces Arcadie que nous aurions cru pourtant ne plus mériter : séjour d’innocence et de bonheur, parenthèse inespérée pour nos aujourd’hui si lourds !

Et, de fait, le temps ne sépare plus les poètes : la moderne, en invocation, renoue le fil de lin au fuseau de l’antique Erinna, non par désœuvrement futile mais selon son goût de lumière, qu’elle exprime en exergue non sans gravité – la quête d’enfance est un jeu grave :

Me riant des modes
J’ai œuvré à déliter le verbe
En sa mémoire de pierre
Y cherchant des éclats de cristal
D’avant la première mort.

Tout au long des six étapes de ce voyage, dont la première donne son titre au recueil, ce qui frappe et séduit avant tout, c’est une grâce de la parole, parfaitement originale dans le paysage poétique contemporain. Peut-être quelque chose de léger, d’aérien, est-il mieux à même de nous dévoiler, par musique, même le plus redoutable :

Où êtes-vous, chers visages
Qui chantiez
Dans les myrtilliers ?

[…]
Mais loin déjà, le regard
Creusé d’immensité vierge.

On goûte ici une étonnante fluidité de la métrique, presque partout dominée par le vers impair (le plus souvent, pentasyllabe et heptasyllabe, qui sont les vers du haïku et du tanka – et d’ailleurs, six tankas figurent au recueil). Dans l’esprit, un vrai plaisir des sens ; ainsi dans ce poème intitulé Reconnaissance à la pomme :

De la racine à la fleur
De cette fleur à la pulpe
Ma reine des fruits
Mon ambroisie de mortelle.

[…]
Pomme, suave rondeur
En ta chair nacrée !
Eclat d’un sein, au réveil.

Comme dans tous ses livres, l’auteur, au delà des séductions du style, ne manque pas de nous conduire dans les arcanes d’une philosophie personnelle entièrement en recherche de l’unité perdue et de l’Eve originelle. Sur la couverture de ce beau livre, elle nous fait don également d’une précieuse peinture figurant le fuseau d’Erinna.

©Paul Farellier

(Note de lecture, in Les Hommes sans épaules, n° 20, 2nd semestre 2005)

Jean MALRIEU : Lettres à Jean-Noël Agostini (L’Arrière-Pays, Auch, 1999)

Si vous aimez Le Nom secret, La Vallée des Rois, Vesper ; si vous remontez souvent vers Le Château cathare ; si vous êtes de ceux que Malrieu illumine au détour d’images inespérées, jetez-vous sur ces lettres à son meilleur ami. Couvrant la période 1950-1975, elles peuvent, sans doute, présenter un intérêt « historique » : on y entend, par exemple, l’homme généreux dans son engagement social et politique, ce communiste pur, trop pur (et forcément déçu) comme il y en eut tant, mais rétif à l’endoctrinement, au langage préfabriqué, et, pour tout dire, ami fidèle d’André Breton. Cependant, là n’est pas l’essentiel attrait de ces missives incomparables : parfois lourdement soucieuses ou même désespérées, ou encore empêtrées dans un quotidien mal vécu, elles laissent exploser ce merveilleux de nature et d’amour qui n’appartient qu’à Malrieu (Mais la forêt est là devant la porte, la fenêtre, jalouse, émeraude, avec ses ombres portées et des escadres de guêpes viennent rôder autour des fruits. (…) Il règne un air serein d’antichambre céleste. Le temps ne passe plus. La joie, c’est Josué qui arrête le soleil.). Libre cours est ainsi donné à son lyrisme du paysage, de la chaleur, des plantes, des rues inondées de soleil (superbes errances poétiques dans Montauban ou à Penne-de-Tarn), bref à tout ce qui faisait la « matière » des grandes Lettres à Jean Ballard (1956-63), déjà publiées aux Cahiers du Sud, puis reprises en volume aux mêmes éditions de L’Arrière-Pays en 1992. Mais ici, à la différence des lettres à Ballard, où l’apollinien règne sans partage, la parole lyrique doit d’abord s’extraire de la gangue des soucis, des combats, de la vie prosaïque et fragile, des chagrins implacables. À coup sûr, elle n’en devient que plus précieuse, élevée sur la dignité du tragique. Lisant ces lettres, on mesure enfin l’abîme d’où naissaient des poèmes qui nous faisaient si heureux et libres.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 9, 3ème trimestre 2000)