Voici qu’une fois de plus opère ce qu’il faut bien appeler la « magie » de la poésie italienne. Dans sa belle collection bilingue, qui nous avait déjà donné à admirer, entre autres, Deux rives de Fabio Pusterla (voir Les Hommes sans épaules, n° 15, p. 157), Cheyne nous invite à respirer maintenant l’univers tout à la fois familier et énigmatique de Davide Rondoni : expérience fascinante d’un vivre absolu au cœur d’un monde où le relatif enchaîne les apparences aussi intimes que fuyantes dont se trame notre quotidien.
Les villes, leurs avenues, Naples, Milan, les faubourgs, les passants, rythment à la manière du meilleur cinéma italien le cheminement de cette poésie qui, dans un style certes tout différent, déambule aussi comme le faisait notre Yves Martin. Une attention extrême aux êtres qui l’entourent caractérise le poète, même à travers l’anonymat des foules urbaines (évocation d’un maçon qui s’est/ changé, maigre, élégant/ dans son pantalon bleu ; dialogue de simples regards avec la bibliothécaire que le téléphone portable divise entre les fiches des lecteurs et les soucis de sa mère : Raccroche,/ allez. Mamà.). Et cette attention, toute respectueuse et passionnée, se déploie bien sûr plus largement dans la proximité familiale (poèmes à la grand-mère, au fils, à la fille). Certaines pages, où la vie la plus sensible affleure sous les mots les plus simples, confinent au chef-d’œuvre et bouleversent de perfection retenue :
c’est à quoi s’occupent les amants
toucher
l’eau mystérieuse
du visage silencieux
dire mon
amour comme ne rien dire
l’impatiente lumière des doigts
ce qui tremble et n’en finit pas
de trembler.
Une pénétrante et sobre préface de Jean-Pierre Lemaire approfondit les perspectives de ce très beau livre, en attirant en particulier l’attention sur la familiarité discrète d’un dieu dans l’aventure du poème et de la vie, dans l’expérience d’un bonheur dur.
©Paul Farellier
(Note de lecture Les Hommes sans épaules, n° 21, 1er semestre 2006.)