Yannick GIROUARD : Hautes marges suivi de La danse de l’arbre (2007, éd. Librairie-Galerie Racine, 23, rue Racine – 75006 Paris, 12 €)

Auteur de six recueils de poèmes et d’une pièce de théâtre, Yannick Girouard, est devenu en l’espace de dix ans, l’un des meilleurs poètes édités par la Librairie-Galerie Racine. Poète chrétien, Girouard vit sa foi à la manière d’un Roland Nadaus ou d’un Jean-Luc Maxence, c’est-à-dire, sans œillères. Dieu et le sacré sont donc évidemment présents dans la thématique, dans les « Hautes-marges » de l’être, mais en filigrane et d’un point de vue cosmique, universel, et non dogmatique. La souffrance intérieure, l’angoisse, la solitude, l’amour : La Vie : un don par échange – Non : une osmose – comme entre le ciel et tes yeux, la solidarité avec les démunis et les opprimés : je n’ai plus d’ombre – que celle du monde, sont quelques-uns des thèmes forts de ce recueil comme de l’œuvre de Girouard ; une œuvre dense, fluide, exigeante, sans ornières et sans clichés.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Maurice COUQUIAUD : L’éveil des eaux dormantes (2007, Le Nouvel Athanor – 50, rue du Disque – 75013 Paris, 14 €)

Maurice Couquiaud a été le rédacteur en chef de la revue Phréatique, durant dix-sept ans. Il est l’auteur de sept recueils de poèmes et de deux essais qui sont les parfaits reflets de son ouverture d’esprit, qui le porte vers la transdisciplinarité, comme il l’avoue lui-même humblement : « Je serai mort avant d’avoir su relier tous les éléments qui donnent un sens à ma curiosité, un sens à mes poèmes, un sens à mon être passager. Pour l’instant je survis essayant de coller à l’obscurité comme un poisson-pilote pouvant se nourrir simplement de lueurs. » Passionné par les rapports pouvant exister entre science et poésie, poète de l’étonnement, Couquiaud nous dit que L’inspiration dort à poings fermés – sur le seuil des mots fatigués. Et, qu’elle se lève avec ceux que la lumière a secoués. Il nous dit encore que Le poète et le musicien peuvent reconstituer l’homme – dans une résonance… à partir de son chaos. Sorcier harmonien, Couquiaud est le poète qui fait émerger l’harmonie du chaos : Ce météore tombé d’un lointain mystère – me dit que l’homme est la planète de son regard solaire. En ce sens, L’éveil des eaux dormantes fond littéralement au contact des êtres et du monde : Venez ! – Nous serons le ressac des lueurs profondes. Conscience de l’ouverture et de l’étonnement perpétuel, les poèmes de ce recueil convaincront ceux que la lumière a secoués.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Isabelle GUIGOU : Le parfum des pierres aveugles (2007, éditions Clarisse – 170, allée de Sainte-Claire – 76880 Martigny, 10 €)

Avec la sortie du livre d’Isabelle Guigou, « que l’on ne traverse pas sans bouleversement », annonce l’éditeur, « nous avons pris la décision de baisser le prix de vente de la collection de 12 à 10 € pour donner au plus grand nombre la possibilité de soutenir notre travail. » Et ce travail, il est vrai qu’il mérite d’être soutenu. Née en 1969, Isabelle Guigou enseigne le français dans un collège du Jura. On lui doit sept plaquettes de poèmes, publiés notamment en revue. Le parfum des pierres aveugles est certainement l’écrit le plus abouti de cet auteur, qui nous fait part de son angoisse, de sa douleur et de sa mélancolie : m’assurer que tout est encore en moi… M’assurer que rien n’est passé mais contenu – Finalement tout cela au-dedans de mon corps. Ce parfum des pierres aveugles peut-être considéré comme le carnet de bord d’une enfance défunte : Lieu tranché en pleine enfance… – On cicatrise – Cette douleur pourtant au-delà du moignon ; du temps qui passe : Caresse d’outre-tombe – D’outre-temps ; du deuil : Gravir une à une les marches vers la lumière – Sortir un à un les absents du ventre de la mort ; et de la solitude : Mes mots répondent aux silences, claudiquent dans un dialogue boiteux à travers le temps.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean L’ANSELME : Con comme la lune (2007, Rougerie, 87330 Mortemart, 14 €.)

Jean L’Anselme, notre « bête de somme en quelque sorte, aussi fière d’être picarde qu’un bœuf est fier d’être bourguignon », nous donne une nouvelle salve cuisinée à sa façon. Les poèmes de L’Anselme, par leur « naïvisme », comme l’a écrit Jean Rousselot, mais aussi leur humour sarcastique, goguenard, jaune, noir, jovial, sont comme des équivalences des tableaux et dessins de Dubuffet. Dans son œuvre, le poète recherche « la beauté de l’inutile » et aligne, c’est le cas avec Con comme la lune, les calembours, les aphorismes, les ready-made. L’Anselme a ainsi évolué de « l’Art maigre », à « l’Art moche », en passant par « l’Art chouette » et « l’Art triste », pour aboutir aux « poèmes cons », dont précisément Con comme la lune est à coup sûr l’aboutissement. Chez L’Anselme, la poésie, dont l’humour est l’épice savoureuse, la couleur dominante, s’apparente à l’insolite, au bizarre, à l’étrange, à l’inhabituel, l’inattendu. Observateur ironique des êtres et de son temps, L’Anselme aime la truculence, l’invention verbale populaire. Il entend lutter contre la bêtise et le conformisme ambiants, sans jamais perdre son sens de l’autodérision : « Monsieur L’Anselme – à vouloir amuser – toutes vos plaisanteries – au lieu que l’on en rie – on s’en passe lassé ».

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean-Vincent VERDONNET : Jours déchaux – Rougerie, 2006 – 13 €.

‘Les carmes déchaux vont en sandales et sans bas’, nous précise Littré. Est-ce à dire que Jean-Vincent Verdonnet, parvenu à un certain point de son ascèse poétique, aspire au dénuement, se veut de tout allégé afin de n’offrir à l’heure dernière, alors que l’on entend déjà frémir les eaux du Léthé, que : « …la transparence qui dépouille / et s’annonce au loin sur les eaux… » ? Avec ce recueil, le poète poursuit, mezza-voce, ‘ce battement de la parole’ qui se fait presque inaudible tant le poème se replie dans l’ombre portée des mots, tant l’image analogique et les hypallages le font s’identifier avec son environnement. Tous les thèmes chers à l’auteur sont ici repris, psalmodiés dans ses noces perpétuelles avec la Nature sa grande complice. L’éternel questionnement du poète se maille en notes sombres mais sereines sur la trame d’un quotidien paisible. ‘La vie est là’ aurait dit un autre poète, ‘simple, tranquille’… et l’auteur de Jours déchaux de poursuivre : « Sur la place grince l’enseigne / de l’échoppe du cordonnier / Un souffle d’air passe et s’en va / Cueillir l’aveu d’une ruelle / Où la vie / ne tient qu’à un fil / de silencieuse lumière » ou encore : « …au gré des heures / entre les murs d’une ruelle / S’y pose l’invisible essaim / de ces pas que l’on n’entend plus / et leur douceur en toi s’obstine / avec les années / de retour / qui se penchent sur les fontaines / où montent trembler des visages ».

À la proue de sa chambre, en parfaite osmose avec sa terre dont il éprouve les moindres vibrations, le poète interroge l’étendue qui s’offre à lui et s’amenuise : « …vers quel lendemain la contrée / doit consentir à se tourner / lorsque la journée / appareille / pour l’autre rive sans connaître / la distance qui l’en sépare ». Verdonnet cède volontiers la parole à la nature, confiant dans la sagesse des saisons. Toute manifestation végétale, minérale, animale devient signe, a valeur de présage, se charge d’un sens qui porte le poème au plus intime de l’être et en sollicite le profond mystère : « Quel sens peut être retenu / de la lecture de ce monde / de la poussière des messages / dont le ciel étoilé fourmille // Une incertitude persiste / tant que n’aura pas préludé / le chant de l’oiseau / entrebâillant pour toi l’énigme / qu’aborderait une étendue / muette en sa lente marée ». Tout se passe comme si, peu à peu, le poète prenait possession de son néant à venir, habitait les lieux dépouillés de la vie physique – les jours déchaux – et renaissait à la vie spirituelle dont le poème est le miroir. On évolue dans un monde d’ombres ; morts et vivants s’y frôlent : « Les façades se décolorent / Des passants viennent du silence / pour y retourner aussitôt ».

Avec Jours déchaux la parole de Jean-Vincent Verdonnet se fait de plus en plus proche du silence, épousant l’indicible : « Jours d’alors qui marchent déchaux / et la poudre de leurs chemins / quel château muet les accueille / sous l’aile de pierre grise ».

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jacqueline BREGEAULT-TARIEL : Ensorceler une loque – Librairie-Galerie Racine, 2007

Il est pour le moins malaisé de classer cette dernière publication de Jacqueline Bregeault-Tariel. On pourrait la ranger dans la rubrique des ‘curiosités littéraires’ si elle n’était porteuse d’un message qui dépasse le seul caractère insolite de son contenu.

Est-il surprenant que l’auteur ait choisi de placer en exergue une citation du fin lettré que fut le trop oublié Pierre Louÿs, cet amoureux invétéré du ‘mot’ ? C’est dans cette citation éclairante que l’on trouve l’expression : « ensorceler une loque ».

Le propos de Jacqueline Bregeault-Tariel serait-il, ici, secouant notre torpeur, de raviver notre regard, émoussé par l’habitude, et de faire apparaître les mots sous un jour inattendu, autrement dit de nous les faire redécouvrir ces ‘mots de la tribu’ si souvent tombés au rebut ?

La première partie de l’ouvrage est : L’écrivain & le rebut. L’acte primordial consiste précisément à sauver les mots du rebut : « Et si l’on nommait le Rebut. Il porterait haut et fier les stigmates de son nom – c’est important d’aimer son nom, d’être plein de sollicitude envers soi-même, de se saluer le matin, de s’étreindre le soir. // Réchappé du pilon, il lui faudrait du temps à ce malotru vêtu d’une loque usée pour gagner ses lettres de noblesse ! »

Puis, après avoir examiné la morphologie du mot Rebut, après l’avoir réhabilité, nous sommes invités à nous questionner sur son orthographe et les possibles variations de sens que l’on peut obtenir en troquant l’une de ses lettres contre une autre : « Quand tu dis orthographe c’est pour respecter la règle. Mais alors, Le Rebut, si tu changes une lettre, une seule, et que tu annonces rébus en substituant à la rigidité castratrice du t la souplesse d’un vermisseau, si en plus tu l’accentues, tu ouvres des horizons insoupçonnés. » Et Jacqueline Bregeault-Tariel de nous le prouver en appréhendant le mot sous des angles différents, sans omettre, au sein de la phrase, la ponctuation qui, elle aussi, est porteuse de signification.

Dans les pages suivantes, mots et signes, mis en scène dans une sorte de chorégraphie délirante, nous entraînent dans un jeu extravagant et ensorcelant où la démonstration est faite sur les incidences croisées polysémiques, sémiologiques et sémantiques de notre champ lexical. Il n’est pas surprenant que Michaux soit évoqué, qui a su tordre le cou à une certaine rhétorique en loque. J’ajouterai qu’un Michel Leiris, autre goûteur de mots – celui de Biffures – eût apprécié cet exercice de Jacqueline Bregeault-Tariel.

Quoi qu’il en soit, chacun aura sa lecture de Ensorceler une loque et se forgera son opinion. Il est bon dans le ‘ronron ronronnant’ de nos quotidiennes parutions que nous dérange un tel écrit dont le questionnement et l’humour sont revigorants.

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Chantal LAINÉ : Incendies du brouillard – Librairie-Galerie Racine, 2007

Les poèmes de Chantal Lainé sont des « paquets lourds de choses légères », pour reprendre l’heureuse expression de Cocteau, qualifiant ainsi la neige, dans Les Enfants terribles.

La palette de l’auteur se compose des vocables : cendre, brume, brouillard, ombre, écume, océan, nuages, vent, vagues, fumée, rivage, miroirs, sable… et ces mots reviennent inlassablement, tissant un décor flou, entre rêve et réalité, où, dans une sorte de sfumato à la Turner, le poète déroule sa pensée et nous révèle ses sensations et sentiments. Au centre, vraisemblablement la perte d’un être cher dont le souvenir, par bribes, est évoqué et se confond avec le surgissement et l’évanouissement du poème sur la page : « C’est un vaste reflet / Blanc de toute inscription / Le tombeau d’une image sur l’eau bleue / Un regard s’élève vers lui / Le suit et l’abandonne / D’autres morts apparaissent / Bientôt le courant / Emporte les écumes / Échappées des fonds marins / Un reste de fumée / À la surface de l’océan / Tout s’envole avec le vent ». Certes, la douleur de cette disparition, dont il est fait état en maints poèmes plaque ses accords dans les graves : « Le monde est noir / Sous un soleil blanc / Et dans la brûlure pâle des couleurs / Le soir prolonge son ombre / Il s’achève et sombre / À la surface de ton regard / sans avoir révélé / Un seul souffle de douleur », mais cette douleur, pour présente qu’elle soit, se veut aussi dépassement par le verbe, ce qu’annonce le premier texte : « La feuille est blanche je la vois / Remplie de mots évanescents / Dont je suis la cendre éparse / Les points sont des pas que je dépasse / Chaque lettre est un monde / Qui n’existe pas ». Le concret et l’abstrait, la matière et l’esprit, le réel et l’imaginaire s’entrecroisent, flottent un instant à fleur de page et s’évanouissent, ne nous laissant que ce goût de l’éphémère, celui-là même de notre existence.

Si ce premier recueil de Chantal Lainé contient quelques faiblesses, dont le recours, un peu trop fréquent par exemple, au mot « étoile », cela est véniel en regard de belles réussites comme : « Le visage des astres lointains / Porte la blessure des glaces / La lumière des idées / Et les parfums inconnus de la mort » ou : « Tes yeux se ferment / devant le monde qui scintille / Et l’oubli / Où tu t’endors / Traverse ton dernier regard ». Cette contraction dans le dire, proche du haïku, atteste d’une maîtrise prometteuse.

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Monique W. LABIDOIRE : S’aventurer avec Guillevic et neuf poètes contemporains – Éditinter, 2006 – 18 €.

Le titre de cet essai est éloquent. Toute approche de la création d’un poète est une aventure. Monique Labidoire a choisi de se hasarder dans la voie qui conduit aux neuf poètes que sont : Marc Alyn, Marie-Claire Bancquart, Serge Brindeau, Andrée Chédid, Charles Dobzynski, Alain Duault, Daniel Leduc, Bernard Vargaftig et Serge Wellens, en se référant à l’œuvre éclairante – à la fois novatrice et fondatrice – de Guillevic. L’aventure de Guillevic est en effet celle d’un engagement total dans la vie, elle est l’aventure d’un poète bâtisseur d’avenir qui a pris à bras-le-corps la matière généreuse et souvent ingrate de l’existence, l’incorporant à sa propre création, la pétrissant, faisant ainsi lever cette nouvelle pâte humaine pour obtenir ce pain de poésie qu’il nous a donné en fraternel partage.

Dans son Liminaire, Monique Labidoire nous explique : « Je veux parler d’une certaine perception du fait poétique transmis par Guillevic que j’ai eu la chance de connaître en poésie et en affection pendant plus de trente ans. » Elle met ensuite en lumière les correspondances qui s’établissent entre la démarche poétique de l’auteur de Terraqué et celle des poètes appréhendés : « L’un sculpte le silence, l’autre habite le poème, jusqu’au tremblement de la terre. L’une adresse des messages d’espoir et persévère dans sa confiance en l’humanité tandis que l’autre bouscule la petite musique de la poésie pour nous faire entrer dans une vérité qui nous dérange. » Ce qui retient le lecteur dans cette circumambulation autour de la poésie qui prend, tour à
tour, le visage de chaque auteur, c’est la finesse d’analyse de Monique Labidoire, le don de la formule qui condense en quelques mots l’essentiel de l’art de ces neuf poètes, c’est son aptitude empathique – autant de qualités qu’il faut mettre à son crédit. Cette vivante étude, grâce à la clef guillevicienne et au doigté de son auteur, nous permet d’approcher le Saint des Saints de chaque poète et nous communique incontestablement l’envie de pénétrer plus profondément les œuvres évoquées.

Si tel est l’objectif majeur que s’est fixé Monique Labidoire, sans nul doute elle l’a atteint.

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jacques KOBER : L’inusable des lèvres (2007, Maeght Editeur – 42, rue du Bac – 75007 Paris)

Il n’est pas innocent de voir accoler les noms de Maeght et de Kober, comme le poète s’en explique dans sa postface, se remémorant sa rencontre avec Aimé, à Cannes, en 1944. De cette rencontre allait naître la revue Pierre à feu, avec Léon-Marie Brest, Jean Cassarini et Jacques Gardies, soit une revue qui se donnait pour but de privilégier parmi les quatre éléments du monde, la terre et le feu d’une relance depuis sa ruine, et depuis ses ruines, à la condition humaine. Pierre à feu marquera le début de l’une des grandes aventures de l’art moderne. La maison Maeght, soixante-trois ans plus tard, n’a pas oublié Kober et c’est heureux de la voir éditer cet inusable des lèvres, un recueil au titre éminemment koberien : Île barrant la lagune à l’horizontale – avec l’inusable des lèvres. Paul Sanda, qui signe la préface, écrit avec justesse que, chez Kober, la poésie est de tous les instants, relevant que l’univers est souvent plus minéral et plus végétal qu’animal, donc plus enraciné que mobile, ce qui est étonnant pour un « nomade », car on ne cesse de voyager avec Kober, dans L’inusable des lèvres, comme dans ses recueils précédents : Tout homme et tout amour est un Jonas de cette grève – qui se roule sur d’éternels soubresauts d’hiver ; on voyage physiquement, géographiquement et oniriquement : la mer est une épine dans le gris mouillé de pluie des galets. Il est tout aussi juste d’affirmer que chez lui, c’est un précipité d’émotion qui provoque l’action : Ô comme cette houle est prosaïque qui destine l’amour sans pouvoir prononcer le cri ! Toujours initié par une émotion, le poème de Kober, comme la mer, monte et déroule les vagues de ses images pour se figer en croquis inusable. Le poème part souvent de petits riens, de moments anodins, que le poète intègre dans son univers intérieur, fusionne avec l’état de rêve, pour déboucher sur une surréalité qui lui est propre et qui culmine souvent vers le Merveilleux : L’après-midi rien ne vaut la peine… mais tout d’un coup il y a l’ouverture de la lagune.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Vincent GUILLIER : Maurice Blanchard, L’avant-garde solitaire (2007, L’Harmattan, 5/7, rue de l’Ecole Polytechnique, 75005 Paris, 13,50 €.)

Trop méconnue, voire sous-estimée, l’œuvre de Maurice Blanchard est composée d’une quinzaine de volumes, de plaquettes, et d’un volumineux journal. Elle est de première grandeur. Il s’agit d’un diamant coupant, pur et inaltérable, lancé dans l’œil crevé de la condition humaine. Maurice Blanchard est le poète qui inaugure Riverains du feu (l’anthologie émotiviste de la poésie francophone contemporaine, que je ferai paraître, en juin 2009, au Nouvel Athanor), et ce n’est pas un hasard. Blanchard, qui a écrit : « Le poète n’est rien, c’est ce qu’il cherche qui est tout », est vraiment ce géant de la création poétique, cet aîné merveilleux et intraitable, qui n’a pas encore la place qui lui revient. Quasiment ignoré de son vivant, sauf de quelques-uns et non des moindres (René Char, Paul Eluard, Joë Bousquet, Julien Gracq, Mandiargues, Henri Michaux, Albert Ayguesparse, Marcel Béalu, Jean Rousselot…), Blanchard avait prédit qu’après sa mort, quelques jeunes redécouvriraient ses poèmes. Vincent Guillier est sans doute l’un d’entre eux. Tout comme Maurice Blanchard (Montdidier, Somme) et Marc Patin (Brenouille, Oise) les deux poètes surréalistes du cru, qui ont d’ailleurs travaillé ensemble à la SNCASO, dans l’aéronautique, Vincent Guillier (né en 1978) est d’origine picarde. Ce jeune homme, diplômé en Lettres et en Philosophie, s’est passionné pour l’œuvre comme pour la vie de Maurice Blanchard (1890-1960), et on le comprend. Il a notamment préfacé l’heureuse et attendue réédition de La Hauteur des murs (Le Dilettante, 2006), tout en concevant et en réalisant l’exposition sur l’œuvre du grand poète, en 2003, à l’université Picardie-Jules Verne. S’il ne saurait encore s’entendre comme exhaustif, l’essai de Guillier possède le grand mérite d’être véritablement le premier à défricher un terrain qui est trop longtemps resté à l’abandon, celui de l’œuvre-vie du poète-ingénieur de Montdidier. Né et mort dans cette ville de la Somme, Maurice Blanchard a connu une enfance pauvre, difficile et l’enfer du travail dès l’âge de douze ans. Il s’est engagé, en 1907, dans la marine pour intégrer l’Ecole des ingénieurs mécaniciens. Durant la Première Guerre mondiale, il sera l’un des rares rescapés de l’escadrille de Dunkerque. Dès l’armistice il intégrera définitivement le secteur de l’aéronautique, où il se distinguera comme un brillant ingénieur (s’associant avec Blériot et créant de nombreux prototypes d’hydravions et de torpilleurs). Il possèdera ainsi, dès 1924, sa propre société de constructions aéronavales et obtiendra deux records mondiaux d’altitude. 1927 sera l’année de la délivrance et de la révélation poétique. Durant l’Occupation, Blanchard intégrera le réseau de résistance « Brutus ». Parallèlement, il élaborera dans l’urgence, à vif, son œuvre poétique, et participera aux activités du groupe surréaliste de La Main à Plume, qui le reconnaîtra, et c’est une première, comme un maître. À défaut de devenir un membre à part entière du groupe surréaliste, Blanchard – franc-tireur intraitable – deviendra un compagnon de route, et se liera d’une amitié indéfectible avec Paul Eluard et René Char, qui l’admirèrent et saluèrent en lui : « Toute la vie jetée aux mots enragés, aux mots à face humaine. » C’est cet itinéraire que Guillier, tout au long de son essai (qui comprend également un cahier iconographique et un choix de poèmes), parvient à retracer, s’attachant particulièrement à faire ressentir l’importance du pays natal, des origines du poète et de son enfance-douleur, qui sera à l’origine de sa révolte et de sa colère ; enfance-plaie, dont, jamais, il ne cicatrisera. On remerciera aussi Guillier de ne pas s’être aventuré de façon hasardeuse sur le terrain glissant qu’est l’histoire de La Main à Plume durant l’Occupation, histoire que Blanchard a croisée et dont chacun sait, à présent, qu’en aucun cas, Noël Arnaud et Jean-François Chabrun n’en furent les « dirigeants », mais des membres controversés et pour cause. Le plus important demeure, c’est-à-dire, le génie et la droiture exemplaires d’un Blanchard, qui nous éloignent de la boue.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)