Pierre DHAINAUT : MISE EN ARBRE D’ÉCHOS (Ed. Motus)

Du début à la fin de MISE EN ARBRE D’ÉCHOS, Pierre DHAINAUT tient son souffle. Ni forcené ni métronome. Mais une variation vitale, modulée, sur une longue laisse de poèmes voisinant sans formalisme avec le haïku. Et nous nous mettons en marche, dans le corps cosmique et spirituel du monde:

« que le point se desserre / le vent le remercie / le vent du large ».

La ligne de crête de Pierre DHAINAUT est la cime de l’attention: une morale de l’instant. L’homme doit mériter d’être l’égal du monde, et les éléments accepteront de l’initier:

« confiance aux braises / ne crains pas / de manquer de souffle ».

Ce sont les aventures de la transparence : l’air, la neige, la mer, le visage, ces mues de l’élan résolu qui ne laisse pas de traces. Mais dans ces pages résonne aussi un appel, auquel répond depuis toujours

« l’oreille en alarme / et le cœur paisible ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 38, printemps 1992.

Louis Guillaume (1907-1971), Hommage au poète cristolien, Les Amis de Louis Guillaume, 114 ter avenue de Versailles, F-75016 Paris.

2007 fut l’année du centenaire de la naissance de Louis Guillaume. Divers hommages lui furent rendus grâce au travail efficace de Lazarine Bergeret et des « Amis », nombreux, de l’œuvre et du poète. À cette occasion, fut publié un ouvrage (18 x 30) de 38 pages qui retrace schématiquement les étapes d’une existence vouée à la poésie, et constitue une approche indispensable pour tous ceux qui découvrent ce poète d’importance, ainsi qu’un tremplin pour tous les curieux d’une œuvre ou l’humanisme rejoint une poésie de tous les instants.

Né à Paris le 18 décembre 1907, décédé le jour de Noël 1971, Louis Guillaume laisse à la postérité une soixantaine de livres (pour la plupart de poésie) ainsi qu’un « Journal » dont les « Amis » publient chaque année de longs extraits dans des « Cahiers » du plus grand intérêt.

Dans la présente publication, que l’on peut considérer comme une superbe « carte de visite », figure la biobibliographie de Louis Guillaume, suivie de diverses rubriques : « L’enseignant », « Louis Guillaume cristolien » (habitant de Créteil en région parisienne), les thèmes chez le poète, les amitiés, les hommages, les témoignages et enfin « Le rayonnement du poète dans le monde ».

Plus de 35 ans après sa disparition, grâce à Lazarine Bergeret et à « l’amicale », Louis Guillaume ne cesse de rassembler de nouveaux admirateurs autour d’une œuvre riche, saluée par Max Alhau, Gaston Bachelard, René-Guy Cadou, Jean Follain, Pierre Gabriel et vingt autres…

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 359, avril 2008

Un poème vient au monde, Serge Brindeau, éd. Librairie-Galerie Racine.

Il y a peu, on célébrait à la Sorbonne le dixième anniversaire de la disparition de Serge Brindeau (survenue le 27 avril 1997), rencontre organisée par Paule, la veuve du poète, et Matthias Vincenot (avec le soutien du Service Culturel des Étudiants de l’Université de Paris Sorbonne — Paris IV) entourés de José Millas-Martin, Michèle Lévy, Christian Pelletier, Monique Labidoire, Maurice Couquiaud, Francine Caron, Claude Herzfeld, Hedi Bouraoui. Les textes étant lus par Gérard Cléry.

Parallèlement à cette manifestation « Autour de Serge Brindeau » paraissait un ouvrage Un poème vient au monde réunissant de nombreux textes inédits retrouvés par Paule. Ce livre d’une douce clarté vient à point nommé pour souligner l’importance d’un poète dont la modestie et le plaisir de la découverte chez autrui occultent une œuvre forte partagée en une trentaine de recueils de poésie et de nombreux travaux critiques dont on retiendra : Anthologie de la nouvelle poésie française (Poésie 1), La Nouvelle poésie philosophique (Poésie 1), La France en poésie (La Pibole), ainsi que la monumentale La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945 (Saint-Germain des Prés / Bordas), qui réunit sur plus de 900 pages, mille poètes francophones.

On retiendra également Poésie pour vivre, Manifeste de l’homme ordinaire, rédigé en collaboration avec Jean Breton (La Table Ronde – 1964 / Le Cherche Midi -1982).

Sur la quatrième de couverture d’Un poème vient au monde, José Millas-Martin nous conseille fraternellement de « redécouvrir » Serge Brindeau. Les gens de ma génération seraient tentés de lui rétorquer que le poète Brindeau est pour nous toujours présent, mais il convient de songer aux nouveaux lecteurs, aux jeunes qui découvrent avec bonheur combien notre poésie est riche et que l’on peut y puiser à loisir.

Le présent ouvrage posthume rassemble des textes de factures diverses et l’ensemble mérite grandement la « signature » de Serge Brindeau tant le choix est fidèle à l’esprit des œuvres publiées. « Prière des griots / S’élève avec la sève / Dans les arbres // Immobile passage / Creusé depuis la nuit des temps // Jusqu’aux nouvelles de ce jour. »

***

On lira avec intérêt : Serge Brindeau sur le damier blanc et noir par Monique W. Labidoire (in Poésie sur Seine n°631) et l’on consultera l’excellent dossier: Serge Brindeau, de l’ordre des mots à l’ordre du monde : itinéraire poétique et politique d’un Manceau par Michèle Lévy (in La Province du Maine n° 80).

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 359, avril 2008

Se surprendre mortel, Pierre Caminade, œuvre poétique complète, édition présentée par François Leperlier, Le Castor Astral.

Se surprendre mortel rassemble, sur près de 300 pages, l’œuvre poétique de Pierre Caminade qui, de 1932 à 1997, publia une dizaine de recueils dont l’importance et la modernité nous paraissent aujourd’hui évidentes. Homme du Sud, Pierre Caminade fut « étroitement lié », note François Leperlier, « au groupe de Carcassonne » (Ferdinand Alquié, Joë Bousquet, René Nelli), puis, avec Jean Legrand au « Groupe Brunet » « qui constituera un maillon essentiel entre le Surréalisme et l’Internationale situationniste ». Il rencontrera : André Breton, Claude Cahun, René Crevel, Christiane Rochefort et Tristan Tzara, puis se tournera vers le Nouveau Roman (Michel Butor, Robert Pinget, Jean Ricardou, Claude Simon) avant d’entrer au comité de rédaction de la revue Sud fondée par son ami Jean Malrieu.

Selon François Leperlier qui présente cette édition remarquable, la démarche poétique de Pierre Caminade « devance bien des orientations contemporaines qui s’attachent à explorer l’implication du corps dans l’écriture ».

Il est vrai que ce gros volume de 284 pages, dont certains textes remontent à plus de 70 ans, se révèle être d’une facture dont pourraient s’inspirer bien des jeunes poètes.

« Ni la mitraille tendre des passereaux / Ni les moutons d’argent épinglés sur la carte / Ni les courses improvisées avec les ramiers roux / ou les autos de la route »

Au centre de l’ouvrage, un inédit de 1953, Le Chant du train de Bucarest, rappelle, de par son thème, La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars, mais la comparaison s’arrête là. Pierre Caminade, par le biais du voyage, donne à sa poésie les images de son inspiration et le Train de Bucarest n’est que prétexte à développer une vision personnelle de l’existence, à donner l’inclinaison aux mots du poème. Il exerce en effet sur les mots un étrange pouvoir qui donne à chacun de ses textes un aspect où l’exception est de règle.

La tendresse lui sied, la tendresse et le doute, et l’amour de la chair, mais également cette beauté fragile du moment présent où l’émotion allume tous les feux d’une poésie d’exception.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 359, avril 2008

Demeure lointaine, Mario Campana, traduction de l’espagnol (Équateur) par Michel Alvès avec la participation de Max Alhau, éd. L’oreille du Loup, 127 rue du Faubourg-du-Temple, F-75010 Paris.

Le grand souffle qui parcourt cet ouvrage me semble mettre un terme à la période minimaliste installée dans les recueils publiés ces derniers temps et l’on retrouve, avec bonheur, ces textes charnus, giboyeux, aux images cruelles et subtiles que le lyrisme met en évidence à chaque page de ce livre.

Mario Campana interroge la vie, dénonce la mort, s’intègre aux violences du temps, ouvre les portes et les blessures en des poèmes inspirés qui, dans leur ampleur, rappellent les longs textes de Blaise Cendrars et de Guillaume Apollinaire.

« Qui ordonna de flageller la mer savait ce qu’il faisait / Une bombe vole et danse, toupie sur l’eau / Petit dieu flamboyant en camisole noire / Satyre nain travesti, festoyant / Cependant que des pantins en écailles de tortue sont projetés / Dans le ciel incendié. »

Mario Campana recherche dans la poésie la justification d’une existence (celle de l’homme) qu’il sait précaire. Le titre ambigu de cette Demeure lointaine suppose deux interprétations qu’il cultive avec, en cadeau, un « surréalisme » aussi omniprésent que tonique.

« Un poisson sous la terre / Avec son chapeau de papier sur la tête / Crachant ses mégots de cigares, toujours allumés. // Un poisson qui danse enlaçant une guitare / et rentre à la maison avec le soleil. »

Ce petit livre d’une soixantaine de pages révèle un poète de grande inspiration, qui vit à Barcelone où il dirige la revue Guaraguao.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 358, mars 2008

Masses tourbillonnantes, Odile Caradec, monotypes de Pierre de Chevilly, éd. Océanes, 17 rue Saint-Nicolas, F-17650 Saint Denis d’Oléron.

Beaucoup des poèmes qui composent cet ouvrage furent publiés dans diverses revues ou puisés dans l’œuvre poétique abondante d’Odile Caradec qui semble privilégier ici, dans ses choix, une mélancolie peu perceptible antérieurement.

Avec « Bretagne aux étoiles », l’une des quatre séquences de ce livre, elle revendique haut et fort son appartenance à la race celtique et plonge allègrement dans cette enfance qui fut la sienne dans la petite ville de Camaret. On côtoie des personnages dans leur vérité âpre (le grand-père, médecin des pauvres à Brest, le poète Saint-Pol Roux et sa grande cape sombre) ou encore cette petite fille (Odile) qui allait « voir les enfants morts, dans les fermes ».« Le lit clos était envahi par l’enfant / la mort se faisait belle / mais il fallait chasser les mouches / il fallait parler bas / se mettre à genoux, prier pour l’enfant mort »

Différentes dans leur structure et dans leur développement, les quatre parties de ce livre, bellement illustré par Pierre de Chevilly, soulignent l’évolution d’une poésie qui se construit grâce aux multiples expériences d’Odile Caradec, enrichissant la création poétique de ses propres émotions, de ses propres certitudes. La mort, omniprésente, utilise un répertoire parfois teinté d’humour, parfois gouverné par une sombre interrogation.

« Chez moi l’idée de mort a forme de vitrail / elle bouge avec la lumière / la mort est extensible »

Lire Odile Caradec est un bonheur car son œuvre est pays de partage. Partage de l’émotion et partage du sourire. Ses Masses tourbillonnantes envahissent notre espace comme autant de vrilles magiques qui, si elles creusent avec véhémence l’esprit et le corps humain, n’en demeurent pas moins d’agréables stimulus occasionnant à chaque page des frissons de plaisir.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 357, février 2008

Lettres à Gérard de Nerval, Jacques Taurand, L’Harmattan.

Délaissant l’essai traditionnel, Jacques Taurand a choisi la compilation épistolaire pour célébrer celui qui, né en 1808, devait se donner la mort, rue de la Vieille Lanterne, le 26 janvier 1855, laissant à la postérité quelques chefs-d’œuvre dont Aurélia et Sylvie, ces Filles du feu, de feu et de lumière.

Gérard de Nerval, « le ténébreux, le veuf, l’inconsolé », prend de nouveau forme et corps grâce à ces lettres rédigées du 1er mars au 7 mai 2007 au rythme de deux ou trois par semaine.

Par le biais de cette correspondance à sens unique, Jacques Taurand évoque la vie et l’œuvre du poète avec cette simplicité amicale qui unit les hommes possédés par la même passion de l’écrit poétique.

Chaque lettre correspond à un fait précis, à une anecdote, à une publication marquante. Et la subtilité de la démarche consiste à fournir tous les éléments de l’essai sans recourir à la pesanteur narrative.

Taurand agit ici comme si son interlocuteur était réceptif aux arguments avancés. Interlocuteur qui y répond d’ailleurs par anticipation.

Les seize lettres traitent avec un égal bonheur de chapitres nervaliens : des Nuits d’octobre à Octavie, de La Pandora aux Filles du feu, d’El Desdichado aux Chimères. Et c’est un grand plaisir de partager ces pages à la fois intimistes et analytiques où l’on sent l’admiration sourdre derrière chaque phrase, derrière chaque mot.

Au détour d’un chapitre, on notera cette citation que beaucoup de poétereaux pourraient méditer avec profit : « — la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète : c’est à la critique de m’en guérir. »

Jacques Taurand, à qui l’on doit par ailleurs, outre des nouvelles et des poèmes de belle venue, un excellent essai Michel Manoll ou l’envol de la lumière (L’Harmattan, 1997), signe ici un livre original et de haute qualité.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 356, janvier 2008

Furtive, Véronique Joyaux, Éditinter.

Tout au long de la lecture de Furtive, j’ai pensé à la chanson de Barbara : Pierre. Même légèreté de style, même fragilité dans la démarche, même climat de chaleur domestique et de quête affective.

C’est dire que Véronique Joyaux, qui est enseignante, est sensible aux petits bonheurs de chaque jour, même si la mort, omniprésente, tempère ses inclinations. Cette poésie au romantisme évident s’enrichit des multiples images que Véronique Joyaux utilise avec grande maîtrise… « Puisque le poème est seul à traverser le jour / de part en part sans s’abîmer les ailes. » Les textes de Furtive sont courts mais gorgés de tendres notations qui en prolongent les effets. On sent dans ce recueil (dont la couverture est signée Nihad Wicho) une volonté de survivre dans le plaisir des sens, même si le vent et la pluie s’opposent à toute plénitude, même si le cortège des ans conduit à la mort inéluctable. Les petites jouissances sont autant de regards appelés, d’anecdotes dociles que le poète fait siennes. « Un homme passe / plus léger que la pluie / Dans son regard le poids du jour / infime / son ombre portée sur le mur. » On quitte le livre de Véronique Joyaux avec un sentiment de quiétude et le souvenir d’une compagnie précieuse, celle… « Des mots aussi lancés vers le ciel / qui laissent leur sillage longtemps après l’arrivée de l’ombre. »

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 356, janvier 2008

Les Pages tournées, Michel Baglin, « Fondamente » / Multiples.

Mélancolique et désabusé, ce petit ouvrage d’une quarantaine de pages, de par son titre sans ambiguïté Les Pages tournées, retrace la vie d’un homme enclin à privilégier la nuit. « L’adolescent chimérique » qu’il fut devient « l’étranger », celui que l’on tolère dans l’espace commun, celui que l’on invite avec scepticisme à partager des brindilles d’amitié.

« Quand les poignées de mains pour dénouer la peur du prochain, pour nouer dans le vide l’étrange des solitudes, n’étaient que passeports d’exil. » Par le biais des mots du poème (le plus souvent en prose), Michel Baglin règle un compte à son passé, à son métier (de journaliste), à ces milliers de pages rédigées dans la ferveur et qui, au final, ne représentent qu’un petit tas de cendre, de poussière.

Le pessimisme de Michel Baglin, sa clairvoyance, le poussent à ne considérer que les « petits bonheurs », ceux que le jour engrange pour ne les restituer que bien plus tard. Le poète refuse les chemins de la gloire, sachant que pour mourir, « on replie sur soi le drap, ayant éconduit les aventures offertes. »

Déjà, dans Lettre de Canfranc (2005), l’un de ses récents ouvrages, Michel Baglin privilégiait la désertification d’un lieu (une gare pratiquement abandonnée). Avec Les Pages tournées, c’est le bilan d’une vie d’homme, avec ses failles et ses espoirs déçus, qu’il met en évidence. Il oublie toutefois de préciser que, pour évoquer une telle solitude et un tel désarroi avec une semblable maîtrise, il lui a fallu beaucoup, beaucoup de talent.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 354, novembre 2007

Rue prends-y-garde, Ballade pour Eloïse et Abélard, Michel-François Lavaur, éd. Traces.

Avec ce petit ouvrage « fait-main » comme à l’habitude, Michel-François Lavaur nous conte l’histoire d’Eloïse et Abélard. Seize pages denses ornées de dessins afin de satisfaire au texte manuscrit qui se souvient des scribes et des enlumineurs. En toute modestie, Lavaur nous entraîne au pays des amants magnifiques que leur imprudente liaison exposa à la vindicte publique avec les conséquences que l’on sait.

Homme d’église ou homme des champs, noble ou roturier, l’individu mâle est conçu pour la procréation et le bel amour qui unit Abélard à la tendre Eloïse n’aurait été qu’une idylle banale sans l’intervention des autorités ecclésiastiques qui châtrèrent le pauvre homme comme un vulgaire matou… Quant à Eloïse…

Agir de la sorte requiert un sens aigu de l’intolérance et Lavaur profite de l’occasion pour dénoncer… « les pieds estropiés des chinoises, / les cous étirés des femmes girafes, / les excisées, les infibulées, / battues, vendues, violées, / rossées, forcées, asservies, / tuées, prostituées… »

Lavaur a beau prédire : « Vienne le temps des humains responsables », il semble que ce soit là vœu de poètes qui, décidément, ne sont pas des gens sérieux.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 354, novembre 2007