Je voudrais savoir…, suivi de Dans le sillage de Kathleen Van Melle, Georgette Purnôde, GRIL éd., 11 avenue du Chant d’Oiseaux, B-1310 La Hulpe.

Dans un premier temps, Georgette Purnôde, sur une vingtaine de pages, évoque l’existence des individus de notre vieille Terre et questionne en vain religions et philosophies afin que lui soient dévoilés tous les petits et grands mystères qui nous entourent. Qui l’entourent.

« Mais ne dit-on pas, dans toutes les religions, que la Justice divine sera présente au Jugement dernier ? — Tu es poussière et tu retourneras en poussière, a dit le Christ. Comment Dieu va-t-il découvrir chaque individu dans tout cela ? ».

En un second temps, l’auteure s’adresse à Kathleen Van Melle qui se donna la mort à 24 ans. Ce fut un drame épouvantable dans la vie de Paul Van Melle, son père, directeur comme l’on sait de la revue Inédit nouveau et des éditions du GRIL (Groupe de Réflexion et d’Information Littéraires) qui publient cet ouvrage.

Rencontre étonnante que celle-ci où, Dans le sillage de Kathleen Van Melle, Georgette Purnôde imagine une connivence à travers les seuls textes de la jeune femme trop tôt disparue.

La littérature et la poésie ont ceci de particulier qu’elles mettent en contact des êtres qui ne se connaissent pas et qui, malgré tout, fusionnent avec bonheur dans le domaine de la création. « Kathleen, ne dis rien ! Nous avons tout le temps de regarder au-delà des êtres et des choses, là où bouge un peu de silence sous le souffle de Dieu. »

Émouvant petit ouvrage où mélancolie et espérance savent se donner la main.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 349, avril 2007

Fin des Révoltes et Commencement des Lettres, Véronique Daine, L’Arbre à paroles.

Il s’instaure dans ce livre une sorte de dialogue où la raison explicite des actes formulés comme ferments anecdotiques. Véronique Daine expose le bruit de ses révoltes, dans un premier temps, et dans un second temps, justifie avec brio ses élans, ce qui ne manque pas de saveur sous cette plume alerte dont elle dispose avec naturel et simplicité. L’intérêt de ce petit livre réside dans la dualité (dormir-mourir) où l’ambiguïté prévaut.

« La nuit sous le lilas, il ne reste que les fatigues et quelque pâleur parlant où mourir accomplit. » (Les Révoltes Inutilisables) Marc Dugardin, en quatrième de couverture, précise : « D’avoir été raclés jusqu’aux os nous a peut-être gagné une ouïe assez fine pour entendre, à tout le moins, la question que quelqu’un, vivant, nous pose… »

Qu’ajouter à cette évidence ?

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 349, avril 2007

Tourne manège, Jean-Vincent Verdonnet, dessins de Jean-Jacques Sarazin, La Fontaine de Siloé, BP 65, F-73801 Montmélian cedex 01.

Avec Tourne manège, Jean-Vincent Verdonnet nous entraîne à sa suite au pays de son enfance, et c’est plaisir de partager ces instants privilégiés où l’auteur, en quelques phrases brèves, s’attarde sans complaisance sur ces petits faits qui marquent les esprits curieux d’une jeunesse à peine turbulente où le bonheur de vivre emplit les journées d’un petit provincial qui deviendra le poète important que nous connaissons (voir Où s’anime une trace, publié chez Rougerie).

Par bribes, avec le seul élan de sa sincérité, Jean-Vincent Verdonnet restitue pour nous, en quelques lignes, ces petites anecdotes qui jalonnent une enfance puis une adolescence sereine dans un village où les êtres et les choses ressemblent à ce qu’ils sont. Bien sûr, il y a les espiègleries des petits villageois, leurs premiers émois devant les genoux entrouverts de la jeune institutrice, leurs yeux pétillants de gourmandise rivés sur les beignets de fleur d’acacia et les « merveilles », savamment confectionnés par la grand-mère. On tourne encore d’autres pages de ce manège à échelle humaine pour découvrir la spirale de papier recouvert de glu et de mouches frémissantes prises au piège des hommes, ou encore la vieille épicerie qui sent la lessive et la réglisse, les anchois et la morue salée. Dans ce village, il y a ceux qui boivent et ceux qui ont peur des serpents, ceux qui se louent dans les fermes pour les moissons et les autres, tous les autres, ces nombreux personnages hauts en couleur, convoqués par Jean-Vincent Verdonnet dans cette biographie originale et qui évoluent dans l’univers du poète faisant preuve ici d’un beau talent de conteur.

Chaque détail importe dans cet ouvrage de la fidélité et si le manège tourne avec les ans, c’est que Jean-Vincent Verdonnet en connaît sur le bout du doigt les mécanismes délicats et tendres.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Car j’ai affaire en ce pays, Jean Zimmermann, Fédérop.

La force de Jean Zimmermann, dont on connaît par ailleurs la qualité d’écriture, réside essentiellement dans un lyrisme que l’on ne rencontre plus guère aujourd’hui, lyrisme d’autant plus efficace qu’il se double d’une connaissance approfondie des troubadours et de l’Occitanie dans son ensemble. Plusieurs ouvrages, conférences et pièces de théâtre en témoignent, cet homme de la terre et du soleil, cet homme à la sensualité exacerbée, amoureux inconditionnel des Corbières a, de propos délibéré, déplacé ses racines afin de s’implanter en pays occitan. Épreuve initiatique en quelque sorte. Jean Zimmermann « gagne » son Occitanie comme d’autres gagnent leur pain : volonté farouche de prendre pied sur la terre élue.

Cette démarche essentielle a quelque chose de vivifiant et de candide qui force l’admiration. Dans ce pays qu’il s’est choisi parce que poétique, Zim respire mieux, aime mieux. Il concrétise sa jubilation par une lettre qui affirme, dès la première page : « Je vous écris parce que vous êtes loin, là-bas, de l’autre côté des prairies, des collines, de l’autre côté de l’horizon, là-bas, plus loin que les nuages qui déferlent jusqu’au fond de mon silence. Tout au fond qui déferlent. »

Trop de poètes d’aujourd’hui (méconnaissance ou étroitesse de sentiments) oublient que le lyrisme fait partie intégrante de la poésie de chez nous. Jean Zimmermann, lui, s’y abreuve.

Car j’ai affaire en ce pays est un chant profond à la gloire de cette terre occitane qu’il a fait sienne. Chaque marin, après avoir bourlingué, « pose son sac » en un lieu de prédilection. Il en va de même pour Jean Zimmermann qui offre tout son bagage poétique à la terre des Corbières, aux sentiers des Corbières, aux odeurs et aux bruits des Corbières, aux hommes et aux femmes des Corbières.

Le geste, symbolique et émouvant, est en réalité l’aboutissement d’une démarche entreprise depuis longtemps déjà et qui se concrétise dans ce livre de haute volée par le lyrisme du coeur et celui de l’esprit. « Écoute le chat fou le vent fou / Qui vient violeur sur les collines / Qui va qui vient qui danse et chante // Je vais je viens je danse et chante / Je suis ici et je suis là »

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Les Allées du temps, Jacques Taurand, postface de Christophe Dauphin, éd. de Saint Mont.

C’est dans un beau petit recueil dont la couverture est ornée d’une œuvre de Jean-Philippe Aizier que Jacques Taurand a choisi de nous offrir ses poèmes récents. Confié aux éditions de Saint Mont, cet ensemble réunit des textes d’une facture habituelle, chez le sensible JacquesTaurand, mais ici plus structurée, plus maîtrisée qu’à l’ordinaire, semble-t-il. En bref, du meilleur cru.

En ce pays de la poésie où « Le jour / chante sa lumière », les drames de l’existence, s’ils sont quelque peu occultés dans la démarche, n’en demeurent pas moins ce centre des préoccupations où l’homme d’aujourd’hui puise ses élans, aiguise ses reflets, distille ses poèmes. C’est ici que l’on murmure… « Les choses à voix basse / la page d’un ciel / que tourne l’habitude ».

Dans sa postface, Christophe Dauphin situe avec exactitude le poète parmi les siens. Et il est vrai que les dédicataires de ces textes où l’amitié prévaut ont noms : Jean Joubert, Serge Wellens, le regretté Jacques Simonomis, Ange de Saint Mont, Jean-Claude Albert Coiffard, Jehan Despert, Michel Héroult et quelques autres, tous artisans des mots, amoureux du langage et chaleureux compagnons.

Dans Les Allées du temps, Jacques Taurand, s’il musarde et contemple, sait aussi nous convier à des magies secrètes où l’homme s’imagine détenir un pouvoir sur les heures.

D’un pas tranquille, il aborde avec confiance les allées bleues de la sagesse.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

L’Éveil des eaux dormantes, Maurice Couquiaud, Avant-dire de Jean-Luc Maxence, Les Cahiers du Sens / Le Nouvel Athanor

Maurice Couquiaud, s’il participe à L’Éveil des eaux dormantes, paraît particulièrement sensible aux pierres déposées, comme autant de signes de reconnaissance et d’intelligence le long d’une existence de croyant que les idées tenaillent mais que la continuité interpelle par ses pouvoirs de durée. Le poète s’attarde à perpétuer Les Chants de pierre par le biais de poèmes aux beautés sereines dont les thèmes s’articulent autour d’une possible postérité des choses.

« La préhistoire survit dans l’humus des temps rongés, / sous les couches d’images qui nous ont effleurés. / L’espace étouffé devient silo des événements, / pierre gravée de souvenirs sous les oublis dormants. »

En des textes souvent rimés (parfois de purs alexandrins), Maurice Couquiaud s’attarde sur tout ce que défie le temps : pierre, marbre, et même ciment des trottoirs. Il s’interroge sur l’avenir des statues et la « fragilité » des cristaux.

C’est dire que sa poésie prend en compte la précarité de l’individu confronté à une matière plus durable que l’espèce humaine, qui défie le temps et contre laquelle l’artiste se heurtera toujours, mais qu’il domestiquera selon ses critères propres.

Riche de ses accents autant que de ses interrogations, L’Éveil des eaux dormantes est un livre dont la sensibilité émeut et pour lequel Jean-Pierre Alaux a conçu une oeuvre graphique « Filigrana » qui s’intègre avec harmonie dans le contexte de cet ouvrage aux multiples facettes.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Le Mangeur de lune, Jean-Pierre Lesieur, éd. Lac et Lande/Comme en poésie.

Avec pour sous-titre « Dérisoire journal d’un petit poète », cet ouvrage débute à la naissance de l’auteur, le 2 octobre 1935, et se termine curieusement en 1991, alors que depuis cette date (et encore aujourd’hui), Jean-Pierre Lesieur a multiplié les interventions dans le domaine poétique et mené à bien l’aventure de sa revue trimestrielle Comme en poésie (près de 30 numéros parus).

Le Mangeur de lune retrace donc, par le biais de poèmes et de notes de circonstance, plus d’un demi-siècle de l’existence d’un jeune garçon, puis d’un jeune homme que la conjoncture dans laquelle il évoluait ne prédisposait guère à la poésie et qui devint, à force de ténacité et de courage, le personnage que l’on sait. Issu d’un milieu défavorisé, il dut, très tôt, faire face à la misère et à la solitude. Plusieurs textes font référence à ces années difficiles où il se battit pour survivre en tant qu’individu et que créateur. Le tout ponctué par des poèmes directement inspirés de ces temps laborieux. Éternel adolescent malgré les années qui défilent (Le Petit Plus, Mon papa m’a dit), Jean-Pierre Lesieur est demeuré fragile, idéaliste, proche de la sensiblerie et des contes de Noël qu’il crée de toutes pièces en s’efforçant d’y croire, malgré tout.

Égal à lui-même, se réfugiant dans l’humour ou le drame, il mélange habilement la vulgarité du quotidien (« enculeur de mouches », « Pendant ce temps-là / ma femme baisait / avec un pharmacien ») et d’autres images, plus sophistiquées mais proches, dans tous les cas, du petit peuple de Paris qu’il fustige autant qu’il vénère. C’est cet ensemble qui donne à sa poésie une vigueur et une gouaille à l’emporte-pièce, capables de nous émouvoir et parfois de nous désarçonner par une mélancolie « bon enfant » où le paupérisme se taille une belle part et la poésie une tranche de vie.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Béatrice LIBERT : Être au monde (Collection Clepsydre, éditions de la Différence, 47 rue de la Villette 75019 Paris) et Alphabet blanc (La Porte, éd. – Yves Perrine, 215 rue Moïse Bodhuin – 02000 Laon).

Ce recueil de 90 pages, Être au monde, s’ouvre sur un long poème, « Aube », dans lequel on retrouve avec un plaisir égal le style maîtrisé de Béatrice Libert où le matin qui « coule sur nos peaux » s’installe sur la terre.

« Il emprunte les voies allantes
la rémige du canal
la couleuvre du rail
la longue langue des chemins
la flèche de mon désir
et celle du poème qui pose son visage
contre celui du jour ».

Poète de la clarté et de la tendresse, poète femelle en ses élans, Béatrice Libert parle de l’enfance avec cette force féroce de louve où l’intime devient miel et où l’épiderme ploie sous la caresse.

Elle rassemble ici plusieurs textes publiés en revues ou en des fascicules. Ainsi « L’Heure blanche » fit l’objet d’une parution dans « Encres vives » (de Michel Cosem) et « Deux enfances » dans « Le Poémier de Plein Vent » (d’Annie Delpérier).

Si Béatrice Libert sait privilégier, dans ses poèmes, et l’amante et la femme, elle peut également donner à son rôle de mère des déclinaisons superbes.

 » … Cependant, il m’arrive encore d’héberger, en mon
ventre, le souvenir de tes frissons et de tes fièvres.
À ton tour, maintenant, de me porter en toi, dans tes
yeux, par ta voix… »

L’amour, chez Béatrice Libert, est une nécessité poétique qu’elle porte en elle et ne la quittera jamais.

Avec un nouveau petit livre, Alphabet blanc, Béatrice Libert brosse un tableau hivernal où la légèreté des flocons de neige rejoint la légèreté de style d’un poète inspiré pour qui les mots servent à gravir les marches d’un toujours possible bonheur. La poésie est du voyage et l’amour un laisser-passer.

« Nous aimerions voler
pour que nos pas
n’entachent pas la neige ».

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005.

Marc DUGARDIN : Fragments du jour (Rougerie)

La poésie de Marc Dugardin utilise les fragments d’une vie intense qu’elle privilégie afin de montrer les seuls instants que mérite l’écrit. On devine, derrière ces textes, derrière ces images au port maîtrisé, les silences éloquents et le non-dit d’un poète au sommet de son art, avec la quinzaine de titres publiés à ce jour.

C’est comme une voix que l’on entendrait en pointillé, aussi riche dans les marges que dans les nuances, mais dont les seules assertions saillantes parviennent jusqu’à nous. Parfois, Marc Dugardin questionne:

« Qui dira le fardeau lorsque
sa légèreté seule doit être portée ? »

Sans dissimuler, il n’offre au lecteur que les seuls éléments d’une poésie apparente dont le titre de l’ouvrage, judicieusement choisi, donne une image exacte: démarche qui, si elle n’occulte pas la nuit, la maintient dans un no man’s land afin de privilégier ces « fragments » essentiels d’une pensée qui en souligne les reflets majeurs.

« avec le sang avec les traces avec
l’inscription des blessures ».

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005.

Olivier DESCHIZEAUX : La chambre close (Rougerie), 11 €, Prix Louis Guillaume du poème en prose, 2004.

« Tu connais la géographie de mes ombres, la chapelle de mes fantômes, ton chant se pose sur le vent comme une herbe habillée de rouille, tes morts sont les miennes, au creux de mon lit je fais un nid de ton bois… ».

Dès l’abord, La Chambre close s’affirme comme l’une des œuvres les plus originales de ces derniers temps et le style d’Olivier Deschizeaux (poète que je découvre ici) porte en lui cette grâce insolite que nous révélèrent certains surréalistes avec, en plus, une dramaturgie très personnelle dans laquelle le langage s’allie une syntaxe giboyeuse où les mots voyagent, revêtent des robes aussi bizarres que somptueuses.

« Debout devant la mer je peins les angles de ma chambre, des châteaux m’attendent quelque part en juillet, mais l’été me sera froid et terreux… ».

J’aime cette incursion dans l’absurde, cette réflexion sur la destinée de l’image poétique qui prend son envol en chaque vers. C’est dire que nous sommes ici très éloignés des bluettes ordinaires et des mièvreries dont la vocation est d’habiller les objets où les sentiments de petits gestes colorés. Il y a création chez Olivier Deschizeaux, et cela suppose l’imaginaire et le fantasque dans l’écrit.

« L’envol des miroirs aux aurores, des bulles de savon salissent le hall du grand hôtel où résident les fougères, s’endormir et s’en aller au cœur des limbes cernés de cris et de rires… ».

On aimerait tout citer de ce livre étrange et palpitant qui bouscule avec un remarquable talent l’habituelle linéarité de notre poésie.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005.