Chantal DANJOU : LES CONSONNES DE SEL, accompagnées par LES MÉLODIES PARLÉES, L’Harmattan éd., 5-7, rue de l’École Polytechnique, 75005 Paris.

Cet ouvrage est un diptyque où la parole proprement poétique (page de droite) est accompagnée d’un « journal », d’un commentaire tantôt allusif, tantôt discursif (page de gauche). Ces deux sources, par leur décalage même, accentuent la force du propos. Force qui est le corollaire d’un défi prenant Don Quichotte pour emblème : c’est lui qui voit et pratique le vrai, c’est lui le vrai poète.

L’Odyssée du regard (les Grecs sont souvent invoqués), s’il s’appuie sur les hautes, granitiques et ancestrales terres lozériennes, est aimanté par miroitement sable-eau-mer de la Méditerranée. Et Chantal DANJOU s’interroge sur son propre regard, sur sa myopie, sur une gêne visuelle qui fait de chaque instant une aventure de la perception, une première –et poétique – déformation.

Chantal DANJOU se sent liée avec l’absolu, avec « les perdrix / qui plongent l’une vers l’autre / jusqu’à étreindre la mort », mais aussi avec la vigueur (« le fusil vert des arbres »), la grâce inspirée : « la ballerine se recompose / à volonté ».

Cette symphonie « des pays qui respirent dans une flûte de Pan », des pays souvent revus à travers le prisme du voyage en train, cet élan
à garder le cap s’affermit dans un dialogue amoureux, fusionnel, se trouve un visage de passion, comme la rencontre de l’eau et du soleil, ou palpiterait

« un faisceau de veines / dans le corps géant de la lumière ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n°52, hiver 1995-1996.

Pierre DHAINAUT : MISE EN ARBRE D’ÉCHOS (Ed. Motus)

Du début à la fin de MISE EN ARBRE D’ÉCHOS, Pierre DHAINAUT tient son souffle. Ni forcené ni métronome. Mais une variation vitale, modulée, sur une longue laisse de poèmes voisinant sans formalisme avec le haïku. Et nous nous mettons en marche, dans le corps cosmique et spirituel du monde:

« que le point se desserre / le vent le remercie / le vent du large ».

La ligne de crête de Pierre DHAINAUT est la cime de l’attention: une morale de l’instant. L’homme doit mériter d’être l’égal du monde, et les éléments accepteront de l’initier:

« confiance aux braises / ne crains pas / de manquer de souffle ».

Ce sont les aventures de la transparence : l’air, la neige, la mer, le visage, ces mues de l’élan résolu qui ne laisse pas de traces. Mais dans ces pages résonne aussi un appel, auquel répond depuis toujours

« l’oreille en alarme / et le cœur paisible ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 38, printemps 1992.

Le Gant perdu de l’imaginaire, choix de poèmes 1985-2006, Christophe Dauphin, préface d’Alain Breton, éd. Le Nouvel Athanor, collection « Les Cahiers du Sens ».

Dès l’abord, avec les titres des divers ouvrages qui composent une œuvre déjà abondante, on sait que les mots importent beaucoup pour Christophe Dauphin qui les utilise avec autant de passion que de brio afin d’affirmer un style à la fois anarchisant et tendre, révolté et sensuel.

Le Gant perdu de l’imaginaire rejoint par son ambiguïté d’autres titres, comme La Nuit en équilibre (éd. Le Milieu du jour, 1993), Les Vignes de l’ombre (éd. La Bartavelle, 1996), L’Abattoir des étoiles (éd. Librairie-Galerie Racine, 2002), ou encore La Banquette arrière des vagues (éd. Librairie-Galerie Racine, 2003) et quelques autres, soulignant un principe d’originalité attiré par une connaissance aiguë de la poésie et de la poésie surréaliste en particulier (on se souvient de son récent essai, publié en 2006, Marc Patin, le surréalisme donne toujours raison à l’amour). L’intérêt qu’il porte dans ses études à James Douglas Morrison, Jacques Simonomis, Jean Breton, Verlaine et Sarane Alexandrian, est significatif dans la mesure où chacun de ces créateurs détient une part tout à fait personnelle dans le panorama poétique que Dauphin explore avec cette curiosité gourmande que l’on lui connaît.

Avec Le Gant perdu de l’imaginaire il rassemble des poèmes choisis dans une dizaine d’ouvrages publiés de 1985 à 2006 dans lesquels il puise allègrement en offrant le meilleur d’une production parfois déconcertante mais toujours porteuse de lumière et de générosité.

Christophe Dauphin, dans sa poésie comme dans ses autres activités littéraires ouvre large l’horizon de l’investigation et les thèmes traités dans Le Gant perdu de l’imaginaire sont ceux d’un citoyen préoccupé par la tolérance, le paupérisme, le racisme et tous les maux et toutes les joies qui accompagnent les hommes d’ici et ceux d’ailleurs.

« Et je te nomme poème / Dans tes yeux je plante ma certitude et mon dégoût / Le jour se lève et la guerre a oublié ses cendres »

On referme ce livre anthologique avec le regret que le choix des textes retenus ne soit pas plus large. Mais nous savons qu’il représente une façon de prendre date car l’œuvre de Christophe Dauphin se poursuit dans la magie d’une inspiration toujours présente.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 352, septembre 2007

À la niche les glapisseurs de dieu !, Guy Ducornet, Ginkgo éditeur.

Sous une couverture de Jean Benoit (« Bris collage ») Guy Ducornet publie le pamphlet À la niche les glapisseurs de dieu ! signé en 1948 par une cinquantaine de surréalistes et contresigné en 2006 par 175 autres. Pour la première fois, ce tract est traduit ici en neuf langues (allemand, anglais, arabe, espagnol, grec, italien, néerlandais, portugais, tchèque) et est prétexte à une mise au net de Ducornet qui en souligne les points essentiels, avec l’appui graphique d’illustres représentants du surréalisme : Pénélope et Franklin Rosemont, Siné, Rikki Ducornet et bien d’autres.

Le texte À la niche les glapisseurs de dieu ! donne des exemples prouvant que « les chrétiens d’aujourd’hui disposent d’arguments pris dans des poubelles théologiques assez hétéroclites pour parer aux circonstances les plus diverses. Dans ces conditions, toute discussion est, faute de la moindre constance dans le langage par eux employé, c’est-à-dire en raison de leur duplicité fondamentale, impossible. »

Ce rejet systématique, Guy Ducornet le prend à son compte avec la véhémence d’un esprit libertaire « au service de la poésie, de l’amour et de la liberté ». C’est dire que le surréalisme toujours en quête de « merveilleux », s’il ne se laisse pas pervertir, n’en appelle pas moins à l’imaginaire et au désir évidents de création.

Membre du mouvement surréaliste américain depuis 1967, Guy Ducornet appartient au mouvement d’Édouard Jaguer « Phase » depuis 1972.

Signalons, du même Guy Ducornet, Oblique Shocks (2001) — poèmes et collages — ainsi que la traduction récente de Gazelle (éditions Joëlle Losfeld, 2007) de Rikki Ducornet.

Les amateurs seront bien inspirés de se référer à un autre ouvrage de Guy Ducornet, Le Punching-ball et la vache à lait (Deleatur/Actual, 1992).

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 349, avril 2007

Fin des Révoltes et Commencement des Lettres, Véronique Daine, L’Arbre à paroles.

Il s’instaure dans ce livre une sorte de dialogue où la raison explicite des actes formulés comme ferments anecdotiques. Véronique Daine expose le bruit de ses révoltes, dans un premier temps, et dans un second temps, justifie avec brio ses élans, ce qui ne manque pas de saveur sous cette plume alerte dont elle dispose avec naturel et simplicité. L’intérêt de ce petit livre réside dans la dualité (dormir-mourir) où l’ambiguïté prévaut.

« La nuit sous le lilas, il ne reste que les fatigues et quelque pâleur parlant où mourir accomplit. » (Les Révoltes Inutilisables) Marc Dugardin, en quatrième de couverture, précise : « D’avoir été raclés jusqu’aux os nous a peut-être gagné une ouïe assez fine pour entendre, à tout le moins, la question que quelqu’un, vivant, nous pose… »

Qu’ajouter à cette évidence ?

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 349, avril 2007

Marc DUGARDIN : Fragments du jour (Rougerie)

La poésie de Marc Dugardin utilise les fragments d’une vie intense qu’elle privilégie afin de montrer les seuls instants que mérite l’écrit. On devine, derrière ces textes, derrière ces images au port maîtrisé, les silences éloquents et le non-dit d’un poète au sommet de son art, avec la quinzaine de titres publiés à ce jour.

C’est comme une voix que l’on entendrait en pointillé, aussi riche dans les marges que dans les nuances, mais dont les seules assertions saillantes parviennent jusqu’à nous. Parfois, Marc Dugardin questionne:

« Qui dira le fardeau lorsque
sa légèreté seule doit être portée ? »

Sans dissimuler, il n’offre au lecteur que les seuls éléments d’une poésie apparente dont le titre de l’ouvrage, judicieusement choisi, donne une image exacte: démarche qui, si elle n’occulte pas la nuit, la maintient dans un no man’s land afin de privilégier ces « fragments » essentiels d’une pensée qui en souligne les reflets majeurs.

« avec le sang avec les traces avec
l’inscription des blessures ».

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005.

Olivier DESCHIZEAUX : La chambre close (Rougerie), 11 €, Prix Louis Guillaume du poème en prose, 2004.

« Tu connais la géographie de mes ombres, la chapelle de mes fantômes, ton chant se pose sur le vent comme une herbe habillée de rouille, tes morts sont les miennes, au creux de mon lit je fais un nid de ton bois… ».

Dès l’abord, La Chambre close s’affirme comme l’une des œuvres les plus originales de ces derniers temps et le style d’Olivier Deschizeaux (poète que je découvre ici) porte en lui cette grâce insolite que nous révélèrent certains surréalistes avec, en plus, une dramaturgie très personnelle dans laquelle le langage s’allie une syntaxe giboyeuse où les mots voyagent, revêtent des robes aussi bizarres que somptueuses.

« Debout devant la mer je peins les angles de ma chambre, des châteaux m’attendent quelque part en juillet, mais l’été me sera froid et terreux… ».

J’aime cette incursion dans l’absurde, cette réflexion sur la destinée de l’image poétique qui prend son envol en chaque vers. C’est dire que nous sommes ici très éloignés des bluettes ordinaires et des mièvreries dont la vocation est d’habiller les objets où les sentiments de petits gestes colorés. Il y a création chez Olivier Deschizeaux, et cela suppose l’imaginaire et le fantasque dans l’écrit.

« L’envol des miroirs aux aurores, des bulles de savon salissent le hall du grand hôtel où résident les fougères, s’endormir et s’en aller au cœur des limbes cernés de cris et de rires… ».

On aimerait tout citer de ce livre étrange et palpitant qui bouscule avec un remarquable talent l’habituelle linéarité de notre poésie.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005.

Denise DESAUTELS : Mémoires parallèles, Choix et présentation de Paul Chamberland, (éditions du Noroît ; distribution pour l’Europe : Librairie du Québec, 3 rue Gay-Lussac – 75005 Paris)

Belle et grande voix qui nous parvient du Québec en un ouvrage de 250 pages présenté par Paul Chamberland et réunissant de larges extraits d’une œuvre d’envergure dominée par un écrit dont les ressources et l’invention semblent inépuisables. Denise Desautels entretient avec la mort de singulières relations qu’elle décrit avec brio afin de se situer dans un monde sans pitié où l’artiste perd ses repères et son équilibre dans la narration pour mieux les utiliser dans son art. « répète les mots après moi – l’iconographie du désir bouleverse l’ordre des choses ». La mort s’implique la plupart du temps dans les textes de Denise Desautels non par occultation désirée mais par simple réflexe de survie où l’artiste se positionne en tant que témoin afin de structurer sa propre existence, sa propre créativité. Jeu dangereux que l’auteure n’hésite pas à provoquer et à restituer après l’avoir subi à titre personnel. Impliquée qu’elle est dans les méandres de l’interrogation. « l’espoir repose du vertige – vivre est inoffensif dit-on – on se protège contre l’effondrement ». Les deuils successifs (le père dès l’abord, puis Lou – souvenons-nous de « Tombeau de Lou » publié en 2000 par Le Noroît) apportent à Denise Desautels matière supplémentaire à s’interroger sur l’existence jusqu’à faire de ces deuils le thème privilégié (avec la théâtralité, il est vrai) d’une œuvre par ailleurs riche en émois et en tentatives multiples pour expliciter la magie d’une existence terrestre. Dans cette anthologie, les interrogations succèdent aux interrogations, les constats aux constats. « (je ne suis là pour personne ni pour – moi-même, dépaysée, un peu floue dans l’oubli… » Denise Desautels « dit ». Elle raconte. Elle se raconte et c’est l’existence de chacun d’entre nous qu’elle révèle ici. Les dédales de l’Histoire, de son histoire, de notre histoire, se retrouvent dans « Un livre de Kafka à la main », et nous ne sommes pas très éloignés de « La métamorphose » où le corps et l’âme se transforment tout en gardant leur authenticité originelle. Brillant, brûlant, troublant, ce livre rassemble 30 années d’écriture et c’est un enchantement de s’y plonger et de s’y replonger.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Patrick DEVAUX : Les mots imprononçables (Collection « Traverses », L’Arbre à paroles) ; Connivences aphones (MI(ni)CROBE – 8)

Patrick Devaux semble aimer le clair-obscur : la demi-pénombre et son intimisme brûlant donnent à ses poèmes un parfum de nostalgie qui se retrouve dans « Connivences aphones » et dans « Les mots imprononçables », recueil déjà ancien (1997) publié dans la petite collection « Traverses » de L’Arbre à paroles. « comment – taire – les battements – des cœurs gravés – sur le vieux chêne ». Le style de Patrick Devaux rappelle la concision du haïku. Cette façon abrupte d’aborder la réalité le situe d’emblée dans la catégorie des poètes peu enclins au lyrisme, ce qui ne l’empêche nullement de se laisser aller à des tendresses subtiles que les titres de ces deux ouvrages laissent présager. « à la fenêtre – une bougie – achève – de grignoter – la chambre ». Conçus pour la réflexion autant que pour l’image, les poèmes de Patrick Devaux, épurés à l’extrême, véhiculent de courts messages à l’intention des imaginatifs.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Chantal DANJOU, Toko No Ma – avec des calligraphies de Mikiko OBATA et de Sumiko KABUMOTO – (Éd. L’Improviste, 13 bd de Belleville, 75011, Paris ; 88 p.)

Sur la lumière du monde, un regard de poète d’une acuité et d’une sensitivité des plus rares : c’est ce dont témoignent tous les ouvrages de Chantal Danjou. Mais les tonalités sont chaque fois différentes, comme suscitées une à une par les variations solaires des ciels que déroule ce regard essentiellement nomade. On n’oublie pas, en remontant dans cette œuvre, qu’on y a d’abord connu la lumière méditerranéenne, avant l’océanique.

Aujourd’hui nous trouvons cette nouvelle suite poétique tout imprégnée de culture nippone. Mais là, aucun japonisme de surface : plutôt la résultante d’une intime expérience, la quintessence d’une matière fluide et discrètement érotique dont notre poète, interrogeant dès l’incipit une vision de pétales, note qu’elle danse devant les yeux.

À l’instar de ce recoin traditionnel des temples et des demeures que l’on désigne sous le nom de toko no ma, le recueil de Chantal Danjou réussit à faire éclore d’images simples, mais tirées de la profondeur et idéalement épurées, le vrai « sentiment du monde ». D’une ombre aux secrètes clartés, naissent des événements ténus et essentiels. Le poème alors, comme pour étayer leur destin d’apparences
aussi décisives qu’incertaines, nous amarre inlassablement par infimes variations de leur intensité, à l’imperceptible, au fugace.

On remarquera – on goûtera – l’exacte beauté des sensations :

Une branche d’amandier en fleurs. Une odeur de miel et de laine humide. Peu à peu on perçoit distinctement les deux parfums. L’un agréable; le second trop fort et âcre.

ou même, pour le thé :

Bouche pincée sur le bord de la tasse. Une petite rose quêtant sa jouissance. Bol plein. Vide à présent.

ou encore, devant l’ombre d’une branche fleurie sur un mur blanc :

Les pétales vont si légers qu’ils ne sont plus que vent.

Monde éludé ? ou bien résumé du monde ? Le poème ici en perpétue l’énigme comme fleurs à l’assaut de l’ombre. Dans l’obscur du toko no ma :

Impossible de ne pas sentir l’arbre remuer. Avant de mourir. Avant de se défaire de chair, de fleurs, de gouttes d’eau. Un lent mystère. Cette présence d’amandier dans l’inconnu

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.